A Versailles, les  bâtiments de l’Ecole nationale supérieure de paysage et le parterre fleuri de l’ancienne figuerie. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

C’est entre 1678 et 1683 que le Potager du roi a pris ses quartiers le long de la Pièce d’eau des Suisses, à quelques tours de roue de carosse du château de Versailles. Son premier directeur, Jean-Baptiste de La Quintinie (1626-1688), un ancien avocat, avait été au service du bientôt disgrâcié intendant Fouquet, à Vaux-le-Vicomte, avant de se mettre à celui du futur Roi-Soleil. Le premier jardin potager du palais se révélant insuffisant pour satisfaire aux besoins de la cour – et aux envies gourmandes du souverain –, un important chantier d’assainissement, de terrassement et de maçonnerie fut mené par l’architecte Jules Hardouin-Mansart.

Entouré de terrasses et d’espaces clos de hauts murs, subdivisé lui-même en carrés de culture, l’espace dénommé le Grand Carré fut doté en son centre d’un bassin circulaire, tant pour l’agrément des visiteurs que pour l’arrosage des plantations. Poiriers, pêchers ou pommiers, espèces fruitières reines, étaient palissés en espalier sur les murs afin de profiter de la chaleur ainsi conservée, en « contre-espalier » le long des allées, en « cordon » sur un fil de fer tendu ou en pied en alignement dans les carrés ceints de murs protecteurs.

Servir les goûts du monarque

Les bases des techniques de greffe et de taille qui permettent encore aujourd’hui d’accroître la vigueur et la productivité des arbres et les qualités gustatives de leurs fruits furent posées alors grâce aux talents de La Quintinie. Qui s’employa à toujours servir les goûts de son monarque et à le surprendre par une production de fruits et de légumes où la figue, la fraise, le melon, l’asperge et le petit pois se faisaient la part belle.

Un alignement de plants de choux de Bruxelles, au pied d’une terrasse bordant le Grand Carré. / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Après de nombreux remaniements, le Potager du roi connaîtra dans la deuxième moitié du XIXe siècle, avec son jardinier en chef Auguste-François Hardy (1824-1891), une période de développement qui verra la naissance de l’Ecole d’horticulture, ainsi que la création de grandes serres et d’un jardin d’hiver.

Aujourd’hui, la gestion en est assurée par l’Ecole nationale supérieure de paysage (ENSP), qui forme de futurs paysagistes diplômés d’Etat. Ceux-ci apprennent, au côté des jardiniers permanents, à gérer librement un espace de culture. Avec, comme contrainte, de devoir se passer d’amendements chimiques ou de traitements phytosanitaires. Les fruits et légumes ainsi produits sont vendus aux visiteurs, les différents espaces du Potager du roi étant ouverts au public depuis 1991.

Production raisonnée

L’actuel responsable du Potager, Antoine Jacobsohn, agronome et historien de l’alimentation, explique comment, aujourd’hui, la poursuite de l’œuvre de La Quintinie réside non plus dans la quête du rendement à n’importe quel prix, mais plutôt dans une production raisonnée. Qui passe par « un renouvellement des sols grâce, par exemple, à la plantation de sarrasin, de tournesol ou de légumineuses, qui viendront, retournés à la terre, former une biomasse enrichie de vie microbienne ou mycorhizienne ». Quitte à avoir pendant un temps, jusque sous les arbres fruitiers, des « espaces en apparence non entretenus », des herbes « un peu folles ».

Chiara Santini, historienne, chercheuse et enseignante : « Tout jardin est une œuvre infiniment ouverte au changement »

Concernant le bâti, selon le directeur de l’école, Vincent Piveteau, deux postes principaux semblent prioritaires (pour un budget total d’une dizaine de millions d’euros) : d’une part, « les parties maçonnées du jardin, c’est-à-dire les murs, les terrasses, les voûtes et tout le système de drainage », cela en partie en raison de dégâts récents ; d’autre part, des travaux de remise en état et de réaménagement des bâtiments historiques, déjà entamés grâce à de précédentes donations. Ainsi, dans l’hôtel particulier construit pour La Quintinie, la Villa Le Nôtre héberge des chercheurs et des paysagistes en résidence, en attendant le réaménagement d’espaces d’enseignement et d’accueil.

Ces projets que pourrait favoriser l’initiative du World Monuments Fund sont tout à fait cohérents avec la Charte des jardins historiques de 1982 du Conseil international des monuments et des sites, rappelle Chiara Santini, historienne, chercheuse et enseignante à l’ENSP : « Tout jardin est une œuvre infiniment ouverte au changement. Mais ce qui devrait toujours être conservé soigneusement est le génie du lieu. »

Poirier centenaire en contre-espalier, taillé en « palmette horizontale Legendre à cinq branches ». / L. JEDWAB/« LE MONDE »

Horaires et tarifs des visites sur www.potager-du-roi.fr.
A lire : Jean-Baptiste de La Quintinie, Instruction pour les jardins fruitiers et potagers, Actes Sud/ENSP (2016), 1 248 p., 29 €. Antoine Jacobsohn (avec des photographies d’Alexandre Petzold), Le Potager du roi. Dialogues avec La Quintinie, Artlys/ENSP (2017), 120 p., 19 €.