Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en janvier, à La Valette. / MATTHEW MIRABELLI / AFP

Mardi 14 novembre, dans les étages du labyrinthique Parlement de Strasbourg, des représentants de l’Hémicycle européen font face aux experts du Conseil (les pays membres) pour un énième « trilogue ». Une réunion de négociations avec la Commission destinée à rapprocher les points de vue de ces trois institutions-clés de l’Union.

Il s’agit de finaliser une cinquième mouture de la directive « antiblanchiment ». Cela fait sept mois que les parties discutent la proposition de la Commission. Jusqu’ici en vain. Les élus du Parlement sont sûrs de leur fait : un accord est à portée de main. Les « Paradise Papers » viennent de faire la « une » de 96 médias internationaux (dont Le Monde) pendant toute une semaine. Ils ont suscité une indignation planétaire, et le renforcement des règles contre le blanchiment est au cœur de la lutte contre les paradis fiscaux.

Pourtant, la réunion strasbourgeoise tourne court au bout de trois quarts d’heure. Les représentants du Conseil disent être venus sans mandat des pays membres pour négocier sérieusement. La vérité est que les discussions achoppent sur un point essentiel : une vraie transparence pour les « trusts », ces actes juridiques qui permettent à une personne physique ou morale (le settlor) de transférer des actifs à une autre personne ou à une société.

Un prochain trilogue début décembre

Les parlementaires exigent des registres publics qui listent les bénéficiaires effectifs de ces « trusts ». Ils ont appris des précédentes affaires : « LuxLeaks », « Panama Papers », « Bahamas Leaks »… Ces montages fiscaux ultra-opaques sont parmi les plus prisés des plus grosses fortunes pour brouiller les pistes et dissimuler leurs biens aux fiscs nationaux.

Le Conseil oppose depuis déjà des mois au Parlement des arguments fondés sur une question excessivement complexe de « bases légales » pour le texte de la future directive. La vérité, à en croire des sources strasbourgeoises, c’est que des Etats, comme l’Irlande, Malte ou Chypre, se cachent derrière cette histoire parce qu’ils ne veulent tout simplement pas entendre parler du registre public.

Les discussions coincent aussi sur le niveau de précaution avec lequel les établissements financiers devraient considérer les personnes politiquement exposées. L’Allemagne exige que ce traitement spécial soit réservé aux non-Européens. Mais, après les « Panama Papers » et l’implication de politiques maltais, le Parlement européen a levé le niveau de ses exigences…

Le prochain trilogue est prévu début décembre. La France et l’Italie souhaitent boucler les discussions avant la fin de 2017. Les autres continueront-ils à traîner des pieds ? Ces poussives tractations prouvent à quel point, en matière fiscale, à Bruxelles, les pressions politiques et médiatiques sont nécessaires. Elles permettent au moins de souligner l’hypocrisie de certaines capitales. Certaines sont outrées par les révélations, mais moins pressées de lutter contre les abus dans le huis clos des négociations…