Le secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires, Julien Denormandie, en compagnie de Xavier Niel, patron du fournisseur d’accès Iliad, d’Olivier Richefou, président du Conseil départemental de la Mayenne, et de Stéphane Richard, PDG d’Orange (de gauche à droite), pour cosigner le contrat du Réseau d’initiative publique (RIP) relatif au très haut débit en Mayenne. (Le 9 novembre 2017, à à Laval). / STEPHANE MAHE / REUTERS

Le chantier du très haut débit va-t-il enfin passer à la vitesse supérieure ? Lors de la Conférence des territoires, en juillet, le chef de l’Etat a annoncé « l’accélération » du plan France très haut débit (THD). Lancé en 2013, ce plan à 20 milliards d’euros vise à couvrir l’intégralité du territoire d’ici à 2022, principalement par la fibre optique.

En ligne de mire, les territoires les moins bien couverts, d’abord situés dans les zones rurales : aujourd’hui, 5 millions de foyers n’ont même pas accès au haut débit. La nouvelle feuille de route fixée par le gouvernement met l’accent sur les technologies alternatives à la fibre optique, comme la 4G. Des technologies moins performantes, mais plus faciles à déployer, pour que chacun puisse au moins bénéficier du haut débit dès 2020.

Un recul de l’Etat?

Télémédecine, enseignement à distance, télétravail… autant d’usages qui permettraient de désenclaver les zones rurales

Si le secrétaire d’Etat à la cohésion des territoires Julien Denormandie a affirmé dans les colonnes du Monde, le 26 septembre, que le cap du très haut débit pour tous en 2022 était maintenu, « l’accent mis sur le haut débit [8 mégabits par seconde, contre 30 pour le THD] peut néanmoins faire craindre un recul de la part de l’Etat », s’inquiète Patrick Chaize, président d’Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l’audiovisuel (Avicca). Pour les zones rurales, l’enjeu est majeur. Télémédecine, enseignement à distance, télétravail… autant d’usages qui permettraient de désenclaver ces territoires et pour lesquels le très haut débit s’avère nécessaire. « La qualité des communications électroniques est ainsi […] l’un des critères de choix essentiels d’implantation des entreprises », souligne un rapport de la Caisse des dépôts (CDC) paru en décembre 2013.

Mais les opérateurs ne se bousculent pas dans les zones reculées. Pour les inciter à investir, le plan France THD définit un partage donnant-donnant entre les pouvoirs publics et les opérateurs privés. Dans les zones les moins denses, les collectivités locales et l’Etat financent la construction de réseaux d’initiative publique (RIP), tandis que les grands opérateurs se chargent de déployer le réseau de fibre optique dans les zones intermédiaires (zones AMII, pour « appel à manifestation d’intention d’investissement ») et les zones les plus denses.

Une couverture mitée

A la suite de ce plan, la moitié de la population a aujourd’hui accès au très haut débit. Mais la couverture reste mitée. « Les opérateurs se sont concentrés sur les endroits les plus rentables, dénonce Patrick Chaize. Rien que dans les zones AMII, plus de 5 millions de logements et de locaux professionnels sont gelés. » Pourtant, les opérateurs chargés du déploiement du réseau ont l’obligation de raccorder l’intégralité de la zone sur laquelle ils opèrent. Mais, pour le moment, aucune sanction n’a été prononcée. Tout en mettant l’accent sur les technologies alternatives – moins performantes mais moins coûteuses à déployer –, Emmanuel Macron a annoncé que des contraintes seraient fixées aux opérateurs pour qu’ils remplissent leurs obligations. « L’Etat […] peut agir sur les taxes prélevées sur les infrastructures ou sur le coût des fréquences dont ont besoin les opérateurs » pour déployer leur réseau mobile, a précisé Julien Denormandie dans l’entretien accordé au Monde.

Se frayer un chemin dans un marché trusté par les gros opérateurs historiques

Le déploiement du réseau de fibre optique n’est pas le seul problème ; encore faut-il que les opérateurs viennent y commercialiser leurs offres. Or, dans les RIP, seules 26 % des prises installées bénéficient de l’offre de plus d’un opérateur, d’après les chiffres de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep) publiés en juin 2017. Néanmoins, les opérateurs se mobilisent de plus en plus pour investir les zones rurales, qui concentrent tout de même 43 % de la population française. N’ayant pas les moyens d’être présents sur les grandes métropoles, les petits acteurs telecom – Ozone, K-Net… – y commercialisent leur offre. C’est ainsi que l’ancienne chaîne de vidéoclubs Videofutur, devenue un fournisseur d’accès, a annoncé en novembre le lancement d’une offre THD visant les foyers situés en zones rurales. Un moyen, pour ce trublion des télécoms, de se frayer un chemin dans un marché trusté par les gros opérateurs historiques.

Peu désireux de laisser la voie libre aux nouveaux venus, les mastodontes du secteur se mobilisent. Alors qu’Orange et SFR étaient les deux seuls opérateurs historiques à commercialiser leurs offres THD sur les RIP, Bouygues Telecom et Free ont annoncé fin 2016 leur arrivée dans ces réseaux. SFR n’est pas en reste : l’opérateur au carré rouge, qui s’était partagé avec Orange le déploiement des infrastructures dans les zones AMII, veut remettre cet accord en question afin d’obtenir plus de prises THD.

Surtout, SFR a annoncé en juillet son intention de déployer son propre réseau de fibre optique. Une annonce que les collectivités ayant investi dans leurs propres infrastructures ne voient pas d’un bon œil. En effet, elles comptent bien rentabiliser cet investissement en louant leur RIP aux opérateurs. « SFR déstabilise le modèle économique des collectivités », fustige Patrick Chaize. Pour contrer l’opérateur, le président de l’Avicca, par ailleurs sénateur de l’Ain, a déposé le 10 novembre une proposition de loi visant à sécuriser les investissements dans les réseaux de communications électroniques à très haut débit.