Au nombre de 36 000, les communes françaises possèdent du matériel « qui dort toute l’année et qui pourrait être mieux utilisé », selon Jean-Michel Blain, le maire de Buf (Loire-atlantique). / PHILIPPE HUGUEN / AFP

Louer une voiture pour le week-end plutôt que d’en posséder une, aller sur une plate-forme de covoiturage pour faire des trajets groupés… L’économie collaborative est entrée dans les mœurs. Un Français sur trois y a désormais recours. Pourquoi ne pas appliquer le même principe aux communes, qui pourraient se louer équipements techniques ou véhicules, dans un souci d’économie et de rationalisation ? « Echanger du matériel entre collectivités a un double avantage : éviter d’acheter du neuf, et rentabiliser le matériel existant », explique Constance Fournier, créatrice avec deux associés de la plate-forme Muni Maxi, sorte de Drivy de l’équipement municipal, que le trio s’évertue à lancer en France.

Echange de matériels

« Chez nous, par exemple, la balayeuse ne sert que le matin » 

Avec près de 36 000 communes en France et des équipements dans chacune d’elles, il y a de quoi faire. « Dans les communes, il y a effectivement du matériel qui dort toute l’année et qui pourrait être mieux utilisé. Chez nous, par exemple, la balayeuse ne sert que le matin », confirme Jean-Michel Buf, le maire de Blain (Loire-Atlantique), gros bourg de moins de 10 000 habitants situé à 38 km au nord de Nantes, qui est prêt à se lancer dans la mutualisation avec les communes voisines, pas beaucoup plus grosses. D’autres initiatives émergent de manière isolée : le conseil départemental de l’Orne a récemment fait un pas en ce sens en louant ses voitures de service, non pas à une autre collectivité locale, mais aux habitants du département. Ils peuvent utiliser pour quelques heures, voire une journée, un ­véhicule électrique à un prix ­défiant toute concurrence.

L’Etablissement public d’aménagement de la Défense et l’agglomération Val de Garonne, autour de Marmande (Lot-et-Garonne), font ainsi partie des clients publics de la start-up bordelaise Base 10, qui a mis au point une application mobile pour réserver et partager des espaces de travail – au départ plutôt destinée au parc privé. Mais ces deux collectivités y ont vu une façon astucieuse de rentabiliser, pour l’une des bureaux vides, pour l’autre les trois pépinières d’entreprises installées sur le territoire. « Nous avons la volonté de nous inscrire dans une dynamique d’économie du partage, car nous croyons à ses vertus », précise Daniel Benquet, président de Val de Garonne Agglomération. De plus, sur un territoire en plein redéploiement économique – le chômage a baissé de 6,8 % sur le bassin d’emploi en un an – cette initiative permet d’offrir des solutions sur les nouvelles problématiques de mobilité ou d’entrepreneuriat.

Un potentiel économique « énorme »

En poussant la logique encore plus loin, on peut même imaginer de mutualiser certaines compétences. Un pas que Jean-Michel Buf n’hésite pas à franchir : « Si on monte en puissance, on peut même aller sur un partage des connaissances. Par exemple, chaque petite ville n’a pas besoin d’un expert juriste ! » Socialement compliqué… « Les collectivités ne cessent de voir leurs dotations baisser, pointe pour sa part Jean Pouly, expert du numérique et professeur associé à Télécom Saint-Etienne. Quand on n’a plus le choix, on cherche des solutions : peut-être les collectivités vont-elles profiter de l’émergence de ces plates-formes collaboratives pour s’en saisir massivement. » En jouant sur les différents leviers, patrimoine immobilier comme mobilier, le potentiel économique est énorme, confirme-t-il.

« Il n’y a pas de storytelling d’une collectivité qui aurait utilisé les outils et la philosophie de l’économie collaborative pour réduire ses coûts »

L’exemple des « Smart Work Centers », mis en œuvre aux Pays-Bas, est éloquent : la ville d’Amsterdam, en créant des espaces collectifs et collaboratifs de travail dans des locaux publics inoccupés, économise 15 millions d’euros par an. Mais il manque ce genre de locomotive en France pour enclencher la dynamique. « Les décideurs sont peu informés de ces sujets, déplore Jean Pouly, et on n’a aucun storytelling d’une collectivité qui aurait utilisé les outils et la philosophie de l’économie collaborative pour réduire ses coûts. » D’autres obstacles empêchent ce développement, comme la question de l’assurance, même si les plates-formes collaboratives pour les particuliers démontrent que les solutions existent. Les élus, déjà débordés par la multiplicité de leurs tâches, se heurtent rapidement aux problèmes juridiques ou à la complexité des procédures pour mettre en place des dispositifs innovants.

Des sujets qui exigent en outre l’intervention de la puissance publique, qui ne semble pas pressée de s’en emparer. Si un rapport est paru sur le sujet en Grande-Bretagne en 2014, ce n’est pas le cas en France. Le rapport sur le développement de l’économie collaborative rédigé par Pascal Terrasse, député de l’Ardèche, et remis au premier ministre en février 2016 n’ouvre pas le sujet aux collectivités locales. Ce n’est pas demain que « l’Etat-providence, fournisseur de services, pourrait à terme se muer en Etat-catalyseur fournisseur de plates-formes », comme le dit Jean Pouly. En attendant, libre à chaque commune de prendre des initiatives dans son coin…