Charles Manson, le 21 décembre 1970. / George Brich / AP

« Look out… Helter Skelter… She’s coming down fast… Yes she is » (« Fais attention...Helter Skelter...Elle arrive vite...Oui elle arrive ») Entre les collines de Sim Hills, en Californie, la musique résonne dans le Spahn Ranch délabré de Benedict Canyon, en cet été caniculaire de 1969. En écoutant ces paroles tirées de l’Album blanc des Beatles, Charles Manson, devenu gourou apocalyptique d’une « Famille » dopée par la paranoïa, fomente, dans une exégèse hallucinée, la folie meurtrière censée déclencher une guerre raciale dans l’Amérique. Un voyage au bout de l’enfer qui fera sept morts, dont Sharon Tate, la première femme du réalisateur franco-polonais Roman Polanski, et traumatisera le pays à jamais.

Voilà quarante-huit ans, Charles Manson, mort lundi 20 novembre en prison, est entré au panthéon de la violence pure. Depuis, il n’a jamais cessé d’être l’icône mythologique d’une contre-culture macabre. Ce « Jack l’éventreur » du XXe siècle, petit bout d’homme d’1m57 qui avait enjoint ses troupes à « faire quelque chose de satanique », hante l’imaginaire collectif.

Virage générationnel

Sauvagerie, célébrité, satanisme, rumeurs d’orgies sexuelles, mystère et manipulation mentale, racisme et fin du monde… Comment rêver meilleure matière pour un artiste que ce messie au visage tatoué d’une croix gammée, incarnation du virage générationnel d’une Amérique schizophrène, partagée entre utopie du « Flower power » et résurgences racistes et bigotes ? Une dichotomie portée à l’écran, quelques semaines avant les meurtres, par Peter Fonda dans le cultissime road-movie Easy Rider, épopée acide et ode à la liberté, incapable de laisser derrière elle le conservatisme oppressant et le désenchantement moral collectif.

De Charles Manson, il restera les chansons. Les siennes d’abord, que cet aspirant à la gloire avait enregistrées notamment chez Dennis Wilson, le batteur des Beach Boys. Ce dernier lui avait vaguement prédit un avenir dans la Mecque du surf rock, en contrepartie de généreuses livraisons en drogues et en femmes. Un goût pour la musique dont il ne s’est jamais départi, sortant deux albums en prison, LIE et Live at San Quentin.

Surtout, il y a les chansons des autres. Celle de Neil Young racontant dans Revolution Blues la course folle de Manson et ses acolytes, ou celle de Sonic Youth dans Death Valley ‘69 dépeignant le mirage eschatologique du Spahn Ranch où vivait la « famille » de Manson.

« Get the glory like Charles Manson »

En 1985, c’est la voix même de Charles Manson qui est utilisée dans l’électro nerveuse de Cabaret Voltaire, sur la chanson Hell’s Homes. Une utilisation moins polémique que l’hommage des Ramones dans leur morceau Glad to see you go, qui répète comme un mantra « And in a moment of passion get the glory like Charles Manson » « Et dans un moment de passion, obtenir la gloire comme Charles Manson »).

RAMONES - Glad To See You Go
Durée : 02:14

Pour Ozzy Osbourne, les premiers succès de Black Sabbath doivent beaucoup à Charles Manson, dans cette période où « tout ce qui avait un côté noir était demandé ». « If you’re alone/Then watch what you do/Because Charlie and the family might get you » («  Si tu es seul, fais attention à ce que tu fais, parce que Charles Manson et la famille pourraient t’avoir »), peut-on entendre dans l’album de 1988 No Rest for the Wicked.

En 1993, les Guns’n Roses vont même plus loin en reprenant des paroles écrites par Charles Manson pour leur chanson Look at your name, Girl. Un choix fait aussi par les Beach Boys, sous le titre Never learn not to love, mais jamais assumé par le groupe, qui a tenté de faire oublier la sombre paternité de la chanson après sa sortie.

Le jeune Brian Hugh Warner n’a quant à lui pas hésité à rendre hommage au leader de la « Famille » en choisissant son nom de scène, Marilyn Manson, progéniture spirituelle du glamour de Marilyn Monroe et du sordide de Charles Manson. En 1996, le morceau How does it feel to be one of the beautiful people ? fait explicitement référence à cette « culture de la beauté » prônée par Charles Manson

Enregistrement au 10050 Cielo Drive

Une mélancolie désenchantée qui se retrouve sur l’album Toxicity de System of a Down. Derrière le morceau « ATWA », un acronyme et le concept d’« Air, Trees, Water, Animals », inventé par Charles Manson pour promouvoir son amour pour la nature. Le guitariste Daron Malakian n’a jamais tu sa fascination pour « les idées et les pensées sur la société » de Charles Manson.

De son côté, le groupe Nine Inch Nails a même choisi d’enregistrer son troisième album dans la maison où Sharon Tate et ses trois amis ont été assassinés. Le groupe y consacre trois chansons de l’album au plus célèbre fait divers américain, March of the Pigs, Piggy et Gave up, dont le clip fut entièrement tourné au 10050 Cielo Drive, sur les hauteurs du quartier résidentiel de Bel Air, où Sharon Tate et trois de ses amis furent sauvagement assassinés.

Même les rappeurs de Niggaz with attitude font référence à cette figure de la culture américaine, quand Ice Cube se lance sur Straight Outta Compton « Here’s a murder rap to keep you dancin’/With a crime record like Charles Manson » (« Voici un rap assassin pour te faire danser avec un nombre d’homicides record égal à celui de Charles Manson »). Plusieurs groupes ont même choisi leur nom en référence au « mythe Manson », comme les rockers du groupe Kasabian, en référence à Linda Kasabian, membre de la « Famille ».

« Des requins qui fendent l’eau »

Car Charles Manson n’est pas le seul à fasciner. Les personnages féminins gravitant autour du leader mystique autoproclamé auront quasiment tout autant matière de fiction. Dans la littérature, elles reviennent à longueur de pages dans Vice caché de Thomas Pynchon, California Girls de Simon Liberati et American Girls, de Alison Umminger. Surtout, The Girls, écrit par l’autrice de 25 ans Emma Cline, dépeint ces adolescentes perdues et fanatiques, « aussi racées et inconscientes que des requins qui fendent l’eau », miroir d’une condition féminine dans la société moderne.

Le traumatisme collectif est un terreau fertile pour qui veut écrire sur la société. « Une Californie s’affairait à naître et l’autre à mourir », écrivait Joan Didion, pionnière du « new journalism », à propos du massacre perpétré par la secte de Charles Manson. A propos de cette secousse existentielle des Etats-Unis, Madison Smartt Bell, auteur de La Couleur de la nuit, se risquait pour sa part à résumer que le « succès » de Charles Manson tenait à ce qu’il « a persuadé les gens que leurs enfants voulaient les tuer ».

Nulle surprise dès lors de retrouver la trace de Charles Manson dans les dessins animés caustiques tels que Family Guy ou South Park, nés dans la fin des années 1990. Dans la bouche de ces personnages rondouillards se lit l’étonnement provocateur de voir une société si fascinée par les criminels et les psychopathes. « Joyeux Noël Charles Manson », chantent les écoliers Stan, Kyle, Cartman et Kenny.

Tarantino au travail

Le succès des œuvres inspirées par le parcours de Charles Manson ne s’est jamais démenti. En 1975, le procureur chargé d’instruire l’affaire, Vincent Bugliosi, signe le livre Helter Skelter, récompensé du prix Edgar, puis rapidement adapté au cinéma (1976) et à la télévision (2004). Les deux sont un succès d’audience, et provoquent le débat, tout comme les récits livrés à une presse avide de sensationnalisme par les anciens membres de la « Famille ».

Charles Manson Monologue (Steve Railsback)
Durée : 04:28

Au total, plus d’une dizaine de films ont tenté de retracer le fil satanique ayant lié les personnages de ce bad trip américain, tant lié à Hollywood. Car le destin de Charles Manson peut être lu comme « la revanche fantasmée de l’un des millions de pèlerins venus à Los Angeles pour laisser une trace, accueillis seulement par la condescendance », affirmait la journaliste Karina Longworth dans une série de douze podcasts consacrés au fait divers, intitulée You must remember this.

L’histoire du gourou a ainsi été adapté dans The other side of madness en 1971 ou Manson family movies en 1984, en passant par le Live Freaky ! Die Freaky ! en 2006, le Manson, my name is Evil en 2009, ou le Manson’s lost girls en 2016. Ce n’est que la partie biographique, car les références à l’homme, elles, abondent encore davantage sur grand écran, à l’image de cette réplique du tueur en série Mickey Mallory dans le Natural born killers de Oliver Stone. « Manson, c’est le roi », dit Woody Harrelson face caméra, comme un défi lancé à la société.

Sur petit écran, la fascination morbide est également omniprésente. On citera notamment Ben Odenkirk interprétant Charles Manson dans le « Ben Stiller Show » en 1993. Si la série Following de Kevin Williamson ne faisait que s’inspirer de l’histoire de Charles Manson, Aquarius sorti en 2016 sur NBC s’inscrit pleinement dans le Los Angeles cauchemardesque de la « Famille ». Charles Manson y est incarné par Gethin Anthony, tandis que le sergent Sam Hodiak est campé par David Duchovny.

La mort du plus célèbre des psychopathes américains, condamné à perpétuité bien qu’il n’ait jamais tué de sa propre main, ne risque pas de mettre fin à son propre mythe. Depuis plusieurs années, Bret Easton Ellis, l’auteur d’American Psycho, veut écrire une série sur le personnage. En juillet, le réalisateur américain Quentin Tarantino a annoncé préparer un film sur Charles Manson, dans lequel Brad Pitt pourrait incarner le personnage principal.