Le premier ministre Edouard Philippe, lors de sa visite sur le site de Valeo à Bobigny, lundi 20 novembre. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Cette fois-ci sera-t-elle la bonne ? Depuis des années, à chaque changement de gouvernement, la nouvelle équipe, confrontée au déclin accéléré de l’industrie, annonce la mise en place d’une politique toujours plus offensive afin de redresser la situation. Emmanuel Macron et Edouard Philippe n’échappent pas à la règle. Lundi 20 novembre, le premier ministre devait se rendre avec 9 ministres dans une entreprise jugée exemplaire, l’équipementier automobile Valeo à Bobigny (Seine-Saint-Denis), pour présenter ses projets de « reconquête industrielle ». Des projets qui amènent à détricoter en partie la politique menée précédemment.

Le mot-dièse choisi pour l’occasion, #AmbitionIndustrie, résume le propos : pour enrayer la désindustrialisation, Matignon entend favoriser l’innovation et la montée en gamme des entreprises. Même si des mesures sont prises pour réduire les coûts (baisse de l’impôt sur les sociétés, réforme du droit du travail…), l’exécutif juge indispensable que les industriels améliorent surtout la qualité de leurs produits pour tenir le choc dans une compétition désormais mondiale. C’est le cœur des projets dévoilés lundi.

Il y a urgence. Malgré l’embellie des derniers mois, l’industrie française reste en piteux état. En quinze ans, sa part dans le produit intérieur brut est passée de 16,5 % à 12,5 %, contre plus de 23 % en Allemagne. Les PME peinent à se développer. Les faillites demeurent nombreuses, à l’image de la rechute du groupe Ascometal, un temps « sauvé » par Bercy. Surtout, faute de produits tricolores compétitifs, la France importe beaucoup et exporte trop peu. « En dehors de l’aéronautique, du luxe et de la pharmacie, la situation est affreuse », souligne l’économiste Patrick Artus (Natixis), dans une note du 3 novembre.

  • De nouvelles priorités

En septembre 2013, François Hollande et Arnaud Montebourg avaient déjà lancé un grand programme destiné à soutenir l’innovation : la « Nouvelle France industrielle ». Le bouillant ministre du redressement productif avait annoncé 34 plans censés « faire naître les inventions de demain, les usines de demain, les produits de demain » : un véhicule à pilotage automatique, un avion électrique, etc. Au printemps 2015, sitôt M. Montebourg parti, son successeur à Bercy, Emmanuel Macron, avait reformaté ces 34 plans, les remplaçant par une « matrice » reposant sur cinq « piliers » et neuf « solutions de la Nouvelle France industrielle ».

Cet édifice en place depuis deux ans est de nouveau remis en cause aujourd’hui. Fini la « Nouvelle France Industrielle ». L’Etat ne jette pas tout au panier. Mais il veut effectuer un tri dans les projets. Le véhicule autonome ? Conservé. Le gouvernement veut même accélérer sur ce sujet jugé urgent et lancer de nouvelles expérimentations. Feu vert aussi pour les travaux destinés à faire émerger un fabricant de batteries à même de profiter de l’essor des voitures électriques. A côté de ces plans désormais prioritaires, d’autres risquent au contraire d’être freinés.

En tout état de cause, Bercy va effectuer ces trois prochains mois un audit des 14 « comités stratégiques de filières » censés piloter la politique industrielle. Certains, comme ceux touchant aux biens de consommation, au numérique ou aux éco-industries, sont jugés peu cohérents. Les adaptations seront officialisées le 26 février.

  • De nouveaux responsables

A nouvelle politique, nouveaux visages. Sans ministre de l’industrie ni secrétaire d’Etat, le gouvernement a choisi de déléguer une partie de la politique industrielle à des chefs d’entreprise. Ainsi Jean-Pierre Floris, un ancien de Saint-Gobain, doit-il être nommé délégué interministériel aux restructurations d’entreprises. Il gérera les crises comme celle liée à la fermeture annoncée du laboratoire Galderma de Nice.

Quant à la politique en matière de compétitivité et d’innovation, Philippe Varin y jouera un rôle-clé. Ancien patron de PSA, dont il a organisé la restructuration après la crise de 2008-2009, en fermant notamment l’usine d’Aulnay, ce dirigeant de 65 ans, passé par Pechiney et Corus, préside le conseil d’administration d’Areva. A partir de janvier, il prendra aussi la tête de France Industrie, la nouvelle grande organisation des patrons du secteur. Matignon a décidé de le nommer en outre vice-président – c’est-à-dire dirigeant opérationnel – du Conseil national de l’industrie, un organisme qui réunit le patronat, les syndicats et les pouvoirs publics, et sur lequel le gouvernement entend s’appuyer de plus en plus. M. Varin deviendra ainsi un interlocuteur-clé de l’Etat, si ce n’est un « vice-ministre » de l’industrie.

  • Un nouveau fonds

L’exécutif a déjà promis plusieurs fois la création d’un fonds pour l’innovation. Le projet se précise. Il verra le jour au 1er janvier 2018, et sera bien doté de 10 milliards d’euros : 1,6 milliard provenant des récentes cessions d’actions Engie et Renault, et 8,4 milliards sous forme de titres d’entreprises destinées à rester publiques comme EDF, La Poste, Thales, etc. Entre les dividendes versés par ces sociétés et les intérêts liés au placement de la trésorerie, le fonds devrait disposer de 250 millions d’euros par an. Ils serviront à soutenir le développement d’innovations de rupture en France.

  • Une refonte des aides à l’innovation

L’attribution précise de ces 250 millions d’euros dépendra toutefois des résultats d’une mission sur les aides à l’innovation que Matignon vient de lancer. Dans la jungle actuelle de ces aides d’un total d’environ 10 milliards d’euros, quelles sont les plus efficaces ? Y a-t-il des angles morts ? Faut-il créer un guichet supplémentaire ? La France doit-elle faire davantage ? Autant de questions auxquelles devront répondre Jacques Lewiner (Paris Science et Lettres), Ronan Stephan (Plastic Omnium) et Stéphane Distinguin (Fabernovel) avec l’appui de l’inspecteur général des finances Julien Dubertret. Leur travail devrait déboucher sur une refonte du dispositif de soutien à l’innovation.

  • Une réflexion sur les champions européens

Le dernier chantier engagé lundi est européen. Comment faire émerger des champions européens à même de rivaliser avec les poids lourds chinois ou américains, sans se heurter à Bruxelles, qui privilégie la concurrence ? Question délicate, soulevée notamment par la fusion Siemens-Alstom. Matignon a chargé Frédéric Saint-Geours, un ancien de PSA, de « formuler des propositions ambitieuses » en la matière.