Documentaire sur Netflix à la demande

Joan Didion: The Center Will Not Hold | Official Trailer [HD] | Netflix
Durée : 02:20

L’écrivaine américaine Joan Didion (née en 1934) n’a jamais été rare dans les médias et à la télévision. Mais elle avait toujours refusé de participer à un documentaire à elle consacré. Ce qui rend, en soi, unique et précieux celui qu’elle a accepté, réalisé par son neveu, Griffin Dunne – fameux notamment pour le rôle principal qu’il incarne dans After Hours (1985), de Martin Scorsese.

Dans ce film que propose Netflix, il y a des choses très simples et très émouvantes, terribles et terriblement belles comme le temps qui passe, comme la vieillesse résignée et irréelle ou l’affreuse mort, que Didion décrit volontiers dans Le Bleu de la nuit (2011).

Il y a cette séquence où l’on voit les mains décharnées et translucides de l’écrivaine feuilletant des photos de sa fille adoptée, Quintana Roo, en ses jeunes années. Et ces images ont d’autant plus de poids qu’on sait que la vie récente de Joan Didion a été d’une dureté qu’on pourrait dire inexprimable si elle n’en avait pas fait la matière de livres qui l’ont rendue célèbre.

L’Année de la pensée magique (2005), qu’elle écrit dans les mois qui suivent la mort en 2003 de son mari, le journaliste et écrivain John Gregory Dunne, victime d’une crise cardiaque, « mort un soir à la table de sa propre salle à manger », ainsi que l’écrit Didion dans Le Bleu de la nuit ; et ce dernier texte qui, à son tour, sur le même ton dépassionné et pourtant frémissant, fait le récit de la vie et de la mort de sa fille, disparue à son tour en 2005.

A quoi s’ajoute le décès, en 2009, de Dominick Dunne, le père de Griffin Dunne, également fameux journaliste et chroniqueur. Pour couronner cet univers mortuaire, Dominick Dunne avait perdu, en 1982, sa fille, l’actrice Dominique Dunne, étranglée par son compagnon.

Observation méticuleuse

En dépit de son apparence chétive, de ses gestes incontrôlés et de ces drames, Joan Didion garde le regard, l’esprit et la parole clairs. Son neveu revient sur ses années de journalisme littéraire, qui la rendirent célèbre en son pays – plus que ses premiers romans –, et évoque son travail sur l’univers chaotique nord-américain au tournant des années 1960-1970.

Notamment ce moment qui la vit rencontrer, à San Francisco, une fillette de 5 ans sous acide. « Que ressent la journaliste face à cela ? », lui demande son neveu. « C’est de l’or en barre ! On vit pour des moments comme celui-ci, quand on travaille à un article. »

Une réflexion bien dans le ton qui est celui de Didion dans son observation méticuleuse, parfois clinique et comme étrangère au pathos, dont elle a témoigné dans ses nombreux essais journalistiques et dans ses textes plus intimes, notamment L’Année de la pensée magique, un texte « miroir » dans lequel des hordes de lecteurs se sont reconnues.

Quintana Roo Dunne (à gauche), John Gregory Dunne et Joan Didion à Malibu (Californie), en janvier 1976. / JOHN BRYSON

Ce remarquable documentaire en fines touches évoque aussi le travail, plus rémunérateur, de Didion, avec puis sans son époux, au service du cinéma hollywoodien en tant que scénariste et « script doctor », appelée pour secourir des projets en panne.

Il retrace aussi subtilement, à l’aide de photos et de nombreux films familiaux, les années heureuses, presque « glamour » : Joan devant sa Corvette décapotable, en robe longue (photo célèbre), la maison au-dessus de l’océan, à Malibu, sur la côte Pacifique, la demeure de vingt-huit pièces dans un quartier mal famé de Los Angeles, etc.

De sorte que, de cette mélancolie nostalgique, on sort tonifié.

Joan Didion : The Center Will Not Hold, de Griffin Dunne (EU, 2017, 98 min).