A Trondheim, en Norvège, le 29 octobre. / MARTIN BUREAU / AFP

Pourquoi la Norvège semble-t-elle être restée en retrait de la construction européenne ? C’est à cette question que Paal J. Frisvold, consultant basé à Bruxelles et ancien président du Mouvement européen norvégien, tente de répondre dans un essai publié en octobre, A la rencontre de l’Europe. Histoire d’une Norvège hésitante (Presses universitaires de Caen, 218 pages, 14 euros).

Le royaume entretient une relation complexe avec l’Union européenne. Deux référendums d’adhésion, le premier en 1972, le deuxième en 1994, avaient vu le camp du non l’emporter après des débats passionnés et douloureux. Cette opposition se voit confirmée à chaque enquête d’opinion.

Rencontré en amont des Boréales, festival des pays nordiques qui se déroule à Caen jusqu’au 26 novembre, Paal J. Frisvold déplore le « véritable paradoxe » entre le refus de la population du royaume de faire partie de l’UE et l’association de fait à cette même Union : membre de l’espace Schengen, la Norvège fait également partie de l’Espace économique européen (EEE). Cet accord assure entre autres la libre circulation des marchandises, des services et des capitaux excepté dans les domaines de l’agriculture et de la pêche.

Etant donné que la Norvège fait déjà partie de plusieurs structures et institutions européennes, le royaume a-t-il un intérêt quelconque à rejoindre l’UE ?

C’est la logique du « If it ain’t broke, don’t fix it » – pas besoin de réparer ce qui n’est pas cassé. Depuis la mise en application de l’EEE [en 1994], toutes les ressources que nous possédions en Norvège ont gagné en valeur et tous les biens importés ont vu leur prix diminuer. Le système d’échange s’est révélé très favorable pour le pays. Si le monde reste tel qu’il est, on peut dire que l’intérêt de rejoindre l’UE est à l’heure actuelle purement politique, car avec une économie dominée par l’exploitation pétrolière, le royaume roule sur l’or. Il n’y a jamais eu une période de croissance aussi durable que celle que nous connaissons maintenant. Et cela, c’est grâce à l’Europe et à l’EEE.

Seulement, notre richesse est due non seulement au pétrole, mais surtout à son prix. Ainsi, la crise qu’a connue l’Organisation des pays exportateurs de pétrole en 2016 [qui a eu comme conséquence une baisse de la production] a entraîné un chômage massif sur la côte ouest. C’est un avertissement qui doit alerter sur ce qui va se passer quand la consommation mondiale de pétrole et de gaz va diminuer.

Comment comprendre la neutralité qui a souvent caractérisé la Norvège à l’égard de l’Europe et du reste du monde ? Dans quelle mesure peut-on parler d’isolationnisme ?

Je pense que cela a été une réaction de circonstance, du fait au départ d’un manque de compétence – nous avons été sous la domination danoise pendant quatre cents ans puis suédoise entre 1814 et 1905, date de l’indépendance norvégienne. Il manquait une vision, une expérience internationale.

Quant à l’isolationnisme, il n’était peut-être pas voulu, c’est pourtant ce qui s’est passé. Depuis l’indépendance de 1905, la politique étrangère s’est faite au jour le jour, sans véritable doctrine. Ce pragmatisme nous a peut-être empêchés de voir à long terme. Le cap n’a pas changé après 1945, on n’a pas voulu répondre à la question de l’intégration européenne après la guerre. L’idée naïve que le monde devait se construire uniquement de façon globale dominait.

Cet isolationnisme, la Norvège n’en est-elle pas sortie après la seconde guerre mondiale et l’acceptation de l’aide américaine par le biais du plan Marshall en 1947 ?

Pour le plan Marshall, cette acceptation a été le résultat d’un accouchement particulièrement difficile. C’est d’ailleurs la Suède qui a mis la Norvège devant le fait accompli en menaçant de faire payer les produits suédois en dollars si sa voisine refusait le plan Marshall.

Quelle a été la réaction de l’opinion publique norvégienne vis-à-vis du Brexit ?

Comme partout en Europe, de la stupéfaction, une grande déception ainsi qu’une inquiétude certaine. Depuis, l’opinion publique est fascinée par le divorce, mais n’a pas conscience des conséquences néfastes du Brexit sur la Norvège.

Aujourd’hui, un troisième référendum sur l’adhésion à l’UE est-il envisageable ?

Le jour où, économiquement, il ne sera plus tenable de rester hors de l’UE, la question se posera. Mais jusqu’à présent, il est encore trop douloureux d’évoquer la question pour les Norvégiens – il faut se rappeler que des familles se sont déchirées à l’occasion des deux référendums. Depuis la consultation de 1972, la Norvège a loupé l’Europe.

Ce qui me donne de l’espoir, c’est qu’aujourd’hui, contrairement au référendum de 1994, 80 % des Norvégiens ont beau être contre l’adhésion à l’Union européenne, 80 % de la population est également en faveur de cette même Union européenne ! Je pense que l’adhésion arrivera quoi qu’il en soit. L’Europe se construit avec beaucoup de mal mais elle ne saurait se dissoudre, car il n’y a pas d’alternative possible.