S’il est un pays dans lequel la chute de Robert Mugabe a été célébrée sans retenue, c’est bien l’Afrique du Sud. Entre 1 et 3 millions de Zimbabwéens y constituent la plus forte communauté immigrée. Dès l’annonce de la démission de leur président nonagénaire, mardi 21 novembre au soir, comme ailleurs au Zimbabwe, ils ont pris la rue. Dans le centre de Johannesburg, à Hillbrow, le quartier des immigrés africains, les carrefours ont été investis, une foule a enfin pu laisser exploser sa joie.

Au beau milieu de la rue, ils ont chanté, dansé, sont montés sur les toits de quelques voitures et minibus qui ont fait l’erreur de chercher à se faufiler au milieu de la foule. Certains ont brûlé des pancartes à l’effigie de Mugabe. D’autres, torse nu, bières à la main, ont ressorti drapeaux et vuvuzelas.

« Faire de nos vies un cauchemar »

« J’attends ce jour depuis tellement longtemps, nous sommes enfin libres », explique la très souriante Pinky Langa. Arrivée en Afrique du Sud enfant, il y a treize ans, elle compte rentrer « assurément », répète-t-elle. « Cela fait trente-sept ans qu’on attend ! »

A ses côtés, Mata Piri, 30 ans, lève les bras en l’air et pousse un cri de joie. « Robert Mugabe était un mauvais président. Au début, ça allait. Mais là, son gouvernement était trop corrompu et il faisait de nos vies un cauchemar. C’est pour cela que nous sommes venus en Afrique du Sud », raconte cette femme de ménage, employée d’une famille anglaise. Une activité fréquente pour les Zimbabwéennes qui ont fui le chômage et le désastre économique de leur pays. « Que Mugabe aille en enfer. Mon enfant ne connaît toujours pas ses grands-parents, et ici nous sommes maudits », ajoute-t-elle, avant de détailler les raisons de son malheur : « Notre vie est misérable, on se fait tout voler, la police nous arrête. Mais aujourd’hui, nous sommes tellement heureux car nous pourrons bientôt rentrer chez nous. »

Hillbrow, l’un des quartiers qui affolent les statistiques criminelles de la capitale économique sud-africaine, a été secoué ces dernières années par des attaques xénophobes visant les immigrés africains. En juillet, le vice-ministre de la police Bongani Mkongi est venu remettre de l’huile sur le feu en accusant les immigrés, qui composeraient selon lui « 80 % de la population du quartier », de « sabotage économique » et de squatter les vieux immeubles aux dépens des Sud-Africains.

« Mnangagwa me convient s’il reste temporairement »

Vincent Sibanda, photographe de 28 ans, qui fait des allers-retours avec le Zimbabwe depuis quinze ans, espère, lui, que les partis zimbabwéens se rassembleront pour gouverner ensemble quelque temps avant de laisser la place à de nouveaux venus. « Emmerson Mnangagwa ? Il me convient, surtout s’il reste là temporairement », dit-il au sujet de celui qui devrait récupérer les commandes du Zimbabwe. Vincent veut rentrer participer à la reconstruction du Zimbabwe. « Il faut que les entreprises, que les Blancs reviennent et investissent ! », lance-t-il, comme un pied de nez au président démissionnaire.

Celui dont on attendait une réaction officielle dès mardi soir, Jacob Zuma, le président sud-africain, est pour l’instant resté silencieux. Mercredi 15 novembre, dès l’annonce des généraux et la mise en résidence surveillée de Mugabe, il a tenté de se poser en médiateur en dépêchant sur place deux de ses ministres. En Afrique du Sud, les médias ont ironisé sur cette incartade diplomatique, alors qu’historiquement le pays de Nelson Mandela a plutôt ménagé son voisin zimbabwéen et, pour certains, contribué à la longévité de Mugabe.

Mercredi 22 novembre, une visite à Harare de Jacob Zuma et du nouveau président angolais, Joao Lourenço, prévue dans la journée, a été « reportée jusqu’à nouvel ordre », a indiqué un communiqué laconique de la présidence. Et ce, alors que l’Afrique du Sud pourrait accueillir une nouvelle famille zimbabwéenne. L’épouse du président déchu, Grace Mugabe, a assuré ses arrières en achetant fin août une résidence estimée à près de 3 millions d’euros dans les beaux quartiers de Johannesburg. Les turbulents fils Mugabe, dont les frasques alimentent régulièrement les tabloïds, y font leurs études. Reste à savoir si l’imprévisible nonagénaire acceptera d’emprunter le même chemin d’exil que celui qu’il a imposé à ses compatriotes.