Le président républicain de la FCC, Ajit Pai, en 2015. / Pablo Martinez Monsivais / AP

Sale temps pour la neutralité du Net, ce principe qui veut que sur Internet, tous les contenus voyagent de manière indiscriminée. Ajit Pai, le président de la FCC, le puissant régulateur des télécommunications et des médias, a présenté ce mardi 21 novembre les grandes lignes d’un projet qui supprimerait les règles, mises en place sous l’administration Obama, qui contraignent les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à respecter ce principe, longtemps resté une règle non-écrite.

Dans une tribune publiée par le Wall Street Journal, M. Pai, qui doit détailler ses propositions ce 22 novembre avant un vote au sein de la FCC le 14 décembre, explique vouloir « empêcher le gouvernement de micromanager Internet » et mettre fin à la gestion des fournisseurs d’accès « comme s’ils étaient des entreprises des années 1930 ». Le rôle de la FCC doit se limiter, dans l’esprit de M. Pai, à « forcer les fournisseurs d’accès à être transparents pour que les consommateurs puissent choisir les offres qui leur conviennent le mieux. » M. Pai, nommé à la tête de la FCC par Donald Trump, se dit convaincu que cette dérégulation permettra aux FAI d’augmenter leurs investissements dans les réseaux. Ces derniers affirment que cette mesure leur permettrait d’engager « des milliards de dollars d’investissements », sans donner de montant précis.

Verizon, Comcast et AT&T, les trois principaux fournisseurs d’accès américains, soutiennent largement ces mesures. Si elles sont adoptées, ces sociétés seraient libres de commercialiser des offres aujourd’hui illégales. Ils pourraient par exemple proposer des accès prioritaires au réseau, des bouquets incluant certains services Web et non d’autres, ou encore facturer plus lourdement les consommateurs qui utilisent beaucoup de services très consommateurs de bande passante, comme Netflix ou YouTube. Mais cette dérégulation se heurte aux protestations de la quasi-totalité de la Silicon Valley, des experts du fonctionnement d’Internet – dont le créateur du Web, Tim Berners-Lee – et des défenseurs des droits des consommateurs, qui pointent le risque bien réel de créer un « Internet à deux vitesses ».

La Silicon Valley unanimement opposée

L’Internet association, l’un des principaux lobbies des entreprises d’Internet, qui compte notamment dans ses rangs Alphabet-Google, Microsoft ou Facebook, a vivement critiqué cette orientation de la FCC. « Les consommateurs ont peu de choix en matière de fournisseurs d’accès, et ces derniers ne devraient pas avoir le droit d’utiliser leur position de garde-barrière pour être en position de discriminer des sites ou des applications », dit l’association dans un communiqué publié ce 21 novembre.

« Cette proposition annule presque deux décennies d’accords entre la gauche et la droite, qui protègent la capacité des Américains à accéder librement à l’ensemble d’Internet. »

Historiquement, les entreprises de la Silicon Valley, de toutes tailles, ont toujours défendu le principe de la neutralité du Net, à la fois au nom de la libre diffusion de l’information sur le réseau, mais aussi en arguant que cette règle permettait d’assurer le maintien d’une concurrence libre. Un raisonnement partagé par l’association de défense des consommateurs Consumer Union, qui estime également qu’en l’absence d’une réglementation stricte, la facture des abonnés ne peut faire qu’augmenter.

Mobilisation populaire et fatalisme

Les débats sur la neutralité du Net aux Etats-Unis ne datent pas de l’administration Trump. en 2014, sous la présidence de Barack Obama, un important mouvement de protestation avait eu lieu pour inciter la FCC à inscrire ces règles dans la loi, ce qui avait finalement eu lieu en 2015. Certains des sites les plus populaires outre-Atlantique avaient participé à ce mouvement, dont Wikipédia et le forum Reddit. Mais en 2017, et malgré de très nombreux avis déposés lors de la consultation publique de la FCC sur ce sujet, la mobilisation semble moindre. Le président de la FCC s’apprête par ailleurs à présenter ses propositions finales la veille de Thanksgiving, jour férié aux Etats-Unis.

Les adversaires de la proposition savant qu’ils ont peu de chances de parvenir à empêcher une dérégulation. Les républicains dominent la commission qui sera chargée du vote, et ont déjà adopté ces dernières semaines une série de mesures de dérégulation, notamment en annulant fin novembre une mesure de l’administration Obama qui limitait la concentration dans les groupes de médias locaux.

Les défenseurs de la neutralité du Net n’ont pas été véritablement surpris par les annonces de M. Pai, qui n’avait pas caché, à son entrée en fonction, son hostilité face aux régulations héritées de l’administration Obama. Ultralibéral convaincu, qui estime que les « monopoles n’existent plus », M. Pai a occupé plusieurs postes au ministère de la Justice et à la FCC, mais a aussi travaillé pour le service de politiques publiques du géant des télécoms Verizon. Donald Trump a également nommé au conseil de la FCC deux autres opposants convaincus de la neutralité du Net, Jeffrey Eisenach et Mark Jamison, tous deux membres de l’American Enterprise Institute, un think-tank républicain qui avait mené campagne par le passé contre ce principe.