L’avis du « Monde » – à voir

Organisée le 22 septembre 1973 à Houston (Texas), la « bataille des sexes » était alors présentée par le correspondant du Monde aux Etats-Unis, Henri Pierre, comme un « canular ». Il n’empêche, le ­journal y consacrait deux colonnes. Le match opposant Billie Jean King, 29 ans, qui domine alors le tennis féminin, à Bobby Riggs, 55 ans, gloire des courts dans les années 1940 qui ne se résout pas à prendre sa retraite, suscitait aux Etats-Unis un intérêt démesuré.

Cinéastes experts en légèreté (ils ont réussi à faire de la mort d’un héroïnomane un excellent gag dans Little Miss Sunshine), Jonathan Dayton et Valerie Faris se sont emparés de cette « bataille », ont pesé les ingrédients de l’événement – épisode de la lutte des femmes pour l’égalité, paroxysme de mercantilisme sportif, retour vers un passé nimbé par la nostalgie – et ont pris le parti d’en rire. Ce qui ne veut pas dire qu’ils ont renoncé à être intelligents : Battle of the Sexes est une comédie historique lucide, servie par des interprètes remarquables, qui ramènera en douceur jusqu’à un temps où un homme pouvait balancer un porc à une femme (à la veille du match, Bobby Riggs offre à Billie Jean King un petit cochon, revendiquant ainsi sa condition de « chauvinist pig »), tout en y injectant un peu de frivolité.

Au début des années 1970, les joueuses de tennis se rebellent contre la disparité des primes entre hommes et femmes

Avec une efficacité tout à fait indolore, le scénario du Britannique Simon Beaufoy (Slumdog Millionaire) fait absorber aux ignorants de la chose tennistique une forte dose d’informations en quelques séquences : au début des années 1970, les joueuses se rebellent contre la disparité des primes entre hommes et femmes. Billie Jean King (Emma Stone) est, avec Rosie Casals (Natalie Morales), l’animatrice d’un groupe de tenniswomen qui esquissent une sécession sur le circuit professionnel, avec le concours de l’éditrice de presse et ancienne joueuse Gladys Heldman (Sarah Silverman) et d’une marque de cigarettes.

En marge de l’establishment masculin qui tente de contrer leurs efforts, Bobby Riggs (Steve Carell) se débat pour conserver une parcelle de sa gloire passée. Histrion qui vit plus ou moins aux crochets de son épouse, Priscilla (Elisabeth Shue), il lui vient l’idée de tirer quelque avantage du débat sur l’égalité hommes-femmes qui fait rage aux Etats-Unis (l’amendement constitutionnel établissant celle-ci a été voté par le Congrès, il attend sa ratification par les Etats) : l’ancienne légende défie les joueuses afin de démontrer que la supériorité masculine se joue des années. Margaret Court (Jessica McNamee), championne australienne par ailleurs tenante des valeurs familiales les plus traditionnelles, relève le défi pour être défaite. Ulcérée par ce qu’elle interprète (à juste titre, il suffit de lire la presse de l’époque) comme un revers dans sa lutte, Billie Jean King, qui considérait jusqu’alors l’opération comme indigne d’elle, décide d’affronter Bobby Riggs.

Un monde opulent et dynamique

L’agilité de ces scènes d’exposition tient avant tout à l’intelligence de la distribution des rôles : autour d’Emma Stone, étonnamment, mais justement, introvertie, et de Steve Carell, qui injecte l’exacte dose de désespoir qu’il faut à son personnage pour lui éviter d’être tout à fait répugnant, les comparses – au premier rang desquels Sarah Silverman, majestueuse et drôle en grande dame du tennis – créent un environnement propice au comique. Si l’on ajoute les coupes des cheveux et des vêtements, gentiment ridicules, on se retrouve vite immergé dans un monde opulent et dynamique, si accueillant qu’on se remettrait presque à fumer, histoire de faire plaisir aux sponsors.

La montée de la tension jusqu’au match du 22 septembre trouve un contrepoint dans l’idylle discrète entre Billie Jean King (alors mariée au promoteur sportif Larry King) et Marilyn Barnett (Andrea Riseborough), qui s’est incrustée dans le groupe des joueuses en tant que coiffeuse. On pourrait trouver là une faille qui donnerait une autre profondeur au personnage, mais Jonathan Dayton et Valerie Faris ne sont pas là pour se poser des questions sur les compromis qu’il faut conclure entre la célébrité et la vérité, entre l’argent des sponsors et l’orientation sexuelle (confirmant son esprit de pionnière, Billie Jean King fit son coming out en 1981), mais pour célébrer l’une des victoires, un peu frelatée par le commerce en l’occurrence, de la cause des femmes.

Battle of the Sexes - Bande Annonce' [Officielle] VF HD | 2017 #2
Durée : 01:21

Film américain de Jonathan Dayton et Valerie Faris. Avec Emma Stone, Steve Carell, Sarah Silverman (2 h 01). Sur le Web : www.battleofthesexesmovie.co.uk et www.foxmovies.com/movies/battle-of-the-sexes