Banc de thon rouge (Thunnus thynnus). / Tom Puchner / Flickr CC

Fin de trêve pour le thon rouge : il va à nouveau être soumis à une pêche intensive. Les quotas qui le concernent vont être fortement revus à la hausse. Ainsi en a décidé, mardi 21 novembre, à Marrakech (Maroc), la Commission internationale pour la conservation des thonidés de l’Atlantique (Cicta, ou Iccat en anglais) dans laquelle siègent 51 Etats plus l’Union européenne. Les taux de capture vont progressivement augmenter pour atteindre 32 240 tonnes autorisées pour l’année 2019, puis 36 000 tonnes l’année suivante, soit 52 % de plus qu’aujourd’hui (la limite est fixée à 23 655 en 2017).

Ce choix marque la fin d’une période de précaution vis-à-vis d’une espèce dont les stocks avaient connu un déclin inquiétant dans les années 2000. Les scientifiques estimaient alors que la biomasse des thons rouges de l’Atlantique Est et de la Méditerranée avait diminué de moitié depuis les années 1950.

Sous la pression des associations de défense de l’environnement – mobilisées pendant une décennie pour sauver ce gros poisson menacé par la surpêche – et de nombreux avis scientifiques, des mesures de restriction très strictes avaient été imposées aux pêcheurs à partir de 2007 : les prises ont ainsi été fixées à 13 500 tonnes plusieurs années de suite. Depuis, les populations de thon rouge (Thunnus thynnus) se portent mieux. Pour les partisans de la pêche durable, ce succès en fait une espèce emblématique, une illustration positive d’une gestion maîtrisée de la ressource halieutique.

Engraissés en cage

Mais la prudence accompagnant ce rétablissement qui devait initialement s’étaler jusqu’en 2022 vient d’être reconsidérée. Le comité de recherches et de statistiques de la Cicta a rendu cet été un rapport optimiste, quoique incitant à ne pas excéder un plafond de 30 000 tonnes en 2020. Le débat perdure sur la fragilité de la reconstitution du stock de ce poisson très recherché, compte tenu des incertitudes pesant sur les estimations des scientifiques. Ces derniers travaillent à partir des statistiques fournies par les Etats – souvent imprécises quant à la quantité et la taille des prises –, et de déclarations fréquemment sous-évaluées.

Le Fonds mondial pour la nature (WWF), qui se dit « profondément déçu » par les décisions de la Cicta, demande à son comité scientifique « de revoir sa méthodologie afin de donner à l’avenir des avis scientifiques robustes et clairs ». « Nous considérons qu’un quota de 28 000 tonnes en 2020 aurait donné de bonnes chances au stock de thon rouge de continuer à croître, assure Théa Jacob, chargée de programme cétacés et pêche durable pour le WWF France. Là, c’est trop et aussi trop rapide. Cette bataille pour le thon rouge montre qu’un succès peut être aussi dur à gérer qu’une crise. »

« Augmenter si rapidement les taux de capture revient à jouer à la loterie, analyse pour sa part François Chartier, responsable de la campagne Océan pour Greenpeace. D’autant qu’on connaît mal les captures de thons prélevés en mer pour être engraissés en cage dans des pays méditerranéens, en particulier à Malte. » « La filière d’élevage qui s’est développée à partir des années 2000 n’est pas durable, abonde Théa Jacob. Pour obtenir un kilo de thon rouge, il faut fournir 12 à 17 kg de nourriture. »

Protéger aussi le requin-taupe bleu

La Cicta a aussi décidé d’étendre la pêche pour répondre aux demandes pressantes des pays du sud de la Méditerranée (Turquie, Libye, Maroc, Algérie…) d’obtenir une part plus importante de quotas, sans trop toucher celle des pays européens. En France, les thoniers senneurs et le secteur industriel captent l’essentiel du quota, au grand dam des petits pêcheurs.

Par ailleurs, le thon rouge est la plus médiatique, mais pas la seule des trente espèces gérées par la Cicta. L’alliance d’ONG Shark Advocates International – qui défend les requins sous l’égide de The Ocean Foundation –, reproche à cette organisation internationale de gestion des pêches son peu d’empressement à protéger aussi de la surpêche le requin-taupe bleu, bien mal en point dans l’Atlantique.

Elle dénonce aussi son incapacité à adopter des mesures fiables pour mettre fin à la pratique du finning, qui consiste à découper les ailerons des requins avant, bien souvent, de les rejeter par-dessus bord. Les ONG considèrent que la seule règle véritablement efficace consiste à obliger les bateaux de pêche à débarquer les carcasses de requins avec leurs nageoires encore attachées, comme l’exigent l’Union européenne et les Etats-Unis.