LES CHOIX DE LA MATINALE

Un album de vacances avec un éléphanteau, une biographie de Staline loin de toute caricature, un thriller autrichien insolite mettant aux prises bourreau, témoin et victime, un essai résolument optimiste sur le déclin de la violence et un « cantique » togolais en forme d’ode à la vie. Voici notre sélection de livres hebdomadaire.

ALBUM JEUNESSE. « Nos vacances », de BlexBolex

ALBIN MICHEL JEUNESSE

Qu’il soit à plumes ou à poils, sauvage ou domestiqué, gracieux ou monstrueux, l’animal est généralement, dans la littérature jeunesse, un partenaire de bonne compagnie pour l’enfant. Généralement, mais pas toujours. Dans Nos vacances, l’auteur et illustrateur français Blexbolex bouscule les usages afin d’explorer la naissance d’un venin insidieux, l’intolérance, au cours du jeune âge. Il a, pour cela, imaginé une relation houleuse entre une fillette et un éléphanteau, le temps d’un été à la campagne, moment propice aux révélations intimes.

Dépourvu de texte et d’onomatopées, ce superbe album se garde bien de porter un jugement moral sur l’attitude des protagonistes, invitant le lecteur à se forger sa propre opinion sur le drame miniature qui s’y joue. Il est en lice dans la sélection des « pépites » décernées par le Salon du livre et de la jeunesse de Montreuil, qui se tiendra du 29 novembre au 4 décembre. Frédéric Potet

« Nos vacances », de BlexBolex, Albin Michel Jeunesse, 128 p., 18 €. Dès 6 ans.

BIOGRAPHIE. « Staline », d’Oleg Khlevniuk

BELIN

Que reste-t-il à raconter sur le dictateur qui a présidé aux destinées de l’Union soviétique pendant plus de vingt-cinq ans ? Le Staline de l’historien russe Oleg Khlevniuk s’inscrit en réaction contre deux tendances qui marquent les travaux actuels sur le « petit père des peuples » : ceux qui dans son pays dressent des portraits de Staline en tsar rouge, certes criminel dans son exercice du pouvoir mais bâtisseur de la deuxième puissance mondiale et vainqueur du nazisme, et ceux qui, en Occident, ont brossé le portrait d’un dictateur à moitié fou.

Le Staline qui en ressort est beaucoup moins caricatural, et l’on achève cette lecture étonné moins par la description des crimes du stalinisme que par la rigueur de l’analyse qui présente un Staline en monstre froid presque plus effrayant que l’ogre brutal et assoiffé de sang habituellement présenté. Michel Lefebvre

Staline, d’Oleg Khlevniuk, traduit du russe par Evelyne Werth, préface de Nicolas Werth, Belin, « Contemporaines », 623 p., 25 €.

ROMAN. « Les femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer) », de Clemens Setz

ED. JACQUELINE CHAMBON

Dans le quotidien calme et réglé d’une ville de province germanique – qui peut faire penser à celle où Clemens Setz est né en 1982 et réside toujours, Graz, en Autriche –, les frontières entre le banal et la folie se brouillent. Natalie Reinegger, jeune femme de 21 ans, ancienne épileptique à la santé mentale vacillante, a la charge d’un certain Alexandre Dorm, « client » en chaise roulante qui a poussé au suicide à force de harcèlement la femme d’un homme dont il est tombé éperdument amoureux, Christopher Hollberg.

Pourtant, depuis le drame, ce dernier rend régulièrement visite à Dorm. Cette constellation morbide entre une victime, un bourreau et un témoin, qui ne tardent pas à intervertir les rôles, forme le noyau de ce thriller insolite dont Natalie est une héroïne déjà « transhumaine » au corps investi par les machines, les médias, les portables, les ordinateurs. Nicolas Weill

« Les femmes sont des guitares (dont on ne devrait pas jouer) » (Die Stunde zwischen Frau und Gitarre), de Clemens Setz, traduit de l’allemand par Stéphanie Lux, Ed. Jacqueline Chambon, 992 p., 27,80 €.

ESSAI. « La Part d’ange en nous », de Steven Pinker

LES ARÈNES

Contre un sentiment d’inquiétude largement partagé, Steven Pinker convoque la science pour montrer les progrès de l’esprit humain. Cette longue enquête publiée en 2011 aux Etats-Unis est devenue un best-seller, cette année, quand Bill Gates a tweeté que ce livre était le plus « inspirant » qu’il ait jamais lu, frappé par le message d’espoir qu’il délivre : la démonstration qu’il est possible de changer le monde, puisqu’il a déjà changé – pour le mieux, démontre Steven Pinker, en s’appuyant sur une impressionnante accumulation de faits historiques et d’analyses scientifiques.

L’état actuel de nos sociétés, où prévaut ce qu’il nomme la « Longue Paix », ouvre à chacun, affirme-t-il, la possibilité de renforcer en soi-même la raison, le meilleur des « anges » qui habitent en nous. Marc-Olivier Bherer

« La Part d’ange en nous. Histoire de la violence et de son déclin » (The Better Angels of Our Nature. Why Violence Has Declined), de Steven Pinker, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Daniel Mirsky, Les Arènes, 1 040 p., 27 €.

ROMAN. « Cantique de l’acacia », de Kossi Efoui

SEUIL

Ouvrir un livre du Togolais Kossi Efoui, c’est partir à l’aventure : plongé dans un décor théâtral, hypnotisé par le narrateur, le lecteur ne sait plus quel étonnant chemin il a emprunté pour se retrouver à questionner l’histoire et l’ordre du monde. Cantique de l’acacia s’ouvre dans l’intimité d’« une leçon des choses » que Grace donne à sa petite-fille, Joyce. La grand-mère parle au nom d’Io-Anna, sa belle-fille, qui a adopté Joyce.

Elle raconte comment, autrefois, les femmes allaient sur l’île aux Acacias rêver l’enfant à venir. Lait, sang, limon étaient la matière de leurs songes que l’écrivain pétrit de son écriture sensuelle. Soudain résonnent les émeutes de la faim et les machines de l’usine qui a rasé les vénérables acacias. Comment vivre et donner la vie dans la violence du monde ? Tel est l’enjeu de ce rituel qui, enrichi de la révolte grisante de ces trois femmes, devient une passionnante leçon d’histoire. Gladys Marivat

« Cantique de l’acacia », de Kossi Efoui, Seuil, 288 p., 18 €.