Marcelo Bielsa a été suspendu par Lille mercredi 22 novembre. / FRANCOIS LO PRESTI / AFP

D’une phrase, le LOSC a annoncé mercredi 22 novembre la suspension de Marcelo Bielsa « dans le cadre d’une procédure engagée par le club ». Une pirouette sémantique pour signifier son intention de licencier l’Argentin pour faute grave.

Jean-Jacques Bertrand est avocat de joueurs et entraîneurs en conflit avec leur club, comme en ce moment le Parisien Hatem Ben Arfa. Il revient sur cette procédure fréquemment utilisée par les dirigeants de clubs pour se séparer d’un entraîneur. Parfois sans fondement, selon lui.

Qu’est-ce qu’une faute grave dans le contexte d’un club de football ?

Il s’agit d’une faute d’une telle gravité qu’elle interdit immédiatement la poursuite de la relation entre un salarié et son employeur. En sport, il s’agit généralement d’un prétexte pour rompre le contrat d’un entraîneur dont le bilan est insuffisant. Or, les résultats sportifs ne peuvent être constitutifs d’une faute grave. Un coach a une obligation de moyens et non de résultat : il lui appartient seulement de tout mettre en œuvre pour la bonne marche de son équipe.

Pourquoi la faute grave est-elle alors souvent invoquée pour se séparer d’un entraîneur ?

Il s’agit du moyen licite à la disposition du dirigeant pour mettre fin à la relation. Un club n’est pas naïf : il connaît la faiblesse de son argumentaire et la possibilité pour l’entraîneur d’engager une procédure pouvant mener au versement de fortes indemnités [correspondant au salaire des mois de contrat restant à honorer]. Une fois la séparation actée, entraîneur et dirigeant entrent donc souvent dans une négociation pour solder la rupture et éviter une longue et coûteuse procédure juridique.

Une séparation à l’amiable entre un dirigeant et son entraîneur est-elle possible ?

Les deux parties peuvent toujours conclure une transaction et négocier les conditions financières de la rupture sans passer par un licenciement. Mais le coach n’y a aucun intérêt. Un accord amiable avant toute procédure de rupture du club le prive de certains droits, comme les allocations-chômage. Dans un cas sur deux, l’entraîneur opte pour un accord avec le club.

Marcelo Bielsa a plusieurs fois reconnu en conférences de presse son entière responsabilité dans les mauvais résultats de ses joueurs…

La reconnaissance publique par l’Argentin de sa responsabilité dans le début de saison de son équipe remonte à plusieurs semaines. Or, une faute grave doit empêcher immédiatement la poursuite de la relation. Marcelo Bielsa n’ayant pas été écarté au moment où ces aveux ont été prononcés, il sera très difficile d’en faire le motif de son licenciement.

Le journal « L’Equipe » évoque, au conditionnel, l’emploi de détectives privés par le club pour traquer les écarts de conduite des joueurs, leur retard à certains entraînements, dont il se servirait pour justifier le fait que Marcelo Bielsa ne tenait plus son groupe. Est-ce du jamais-vu ?

C’est un procédé qui n’est pas original. Les clubs ont fait le tour des outils à leur disposition pour prouver la faute d’un entraîneur à congédier. Dans le cas du LOSC, un détective n’est pas nécessaire : il suffit de demander à l’intendant pour connaître la liste des retardataires. Même si les retards aux séances d’entraînement ont été fréquents, cet élément me semble marginal. Contrairement au CDI, le CDD – qui lie un club et son coach – ne peut être rompu pour insuffisance professionnelle et la répétition d’une faute.

Les retards, les déclarations dans la presse, la perturbation des joueurs, l’absence d’écho du discours de l’entraîneur, sont des éléments classiques pour justifier la rupture. Mais le club perd aux prud’hommes dans 90 % des cas.

Le départ précipité de Marcelo Bielsa au Chili, au chevet d’un ami malade et depuis décédé, pourrait-il justifier sa mise à l’écart ?

Même en cas de départ soudain et sans information préalable du club, les dirigeants devront prouver que l’absence à plusieurs séances d’entraînement est une faute ne permettant pas à Marcelo Bielsa de poursuivre sa relation avec le LOSC. Ce n’est pas évident.

Des cas de faute grave ont-ils déjà été reconnus à l’encontre d’un entraîneur ?

Au terme d’une procédure de près de cinq ans, l’Olympique lyonnais a réussi à faire valoir la faute grave contre Claude Puel [licencié en juin 2011]. L’entraîneur s’est vu reprocher l’absence de réponse à un e-mail de son président, Jean-Michel Aulas, lui réclamant un « plan de bataille » pour la fin de saison [la cour d’appel de Lyon a vu dans le silence de Puel un « déni de subordination »].