Océane Perona est chercheuse au Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales). Elle vient de terminer une thèse sur « Le consentement sexuel saisi par les institutions pénales », un travail nourri d’enquêtes auprès d’un service spécialisé de police judiciaire.

Existe-t-il un désintérêt de la police pour les violences sexuelles ?

Au contraire, il y a de manière générale un vrai intérêt des services spécialisés pour les violences sexuelles. Car ce sont des affaires qui impliquent des investigations complexes, qui génèrent un trouble à l’ordre public et qui peuvent déboucher sur une réponse pénale ferme. En revanche, parmi les violences sexuelles, les viols conjugaux ne répondent pas à ces critères. Le suspect est déjà identifié, les violences sont limitées à la sphère intime et elles sont souvent classées sans suite ou correctionnalisées. Cela a des répercussions sur la façon dont les policiers vont travailler. Ils peuvent, par exemple, essayer de négocier auprès des magistrats pour ne pas être saisis d’une affaire afin que le dossier reste entre les mains des services généralistes des commissariats.

Les femmes dénoncent parfois la façon dont leur parole est mise en cause. Comment expliquez-vous ce ressenti ?

Les policiers sont soupçonneux car ils enquêtent à charge et à décharge. Dans le cas des violences sexuelles, ils le seront plus encore si les faits sont dénoncés tardivement ou dans le cadre d’une procédure de divorce car alors ils sont enclins à suspecter une motivation matérielle. Il y a une autre difficulté concernant les viols conjugaux, qui a trait à la difficulté de matérialiser une relation non consentie, à travers la menace, la contrainte, la surprise ou la violence. Si l’on veut comprendre la rudesse institutionnelle à l’égard des victimes, il faut comprendre que les policiers anticipent la décision que prendra le magistrat de classer la plainte ou de poursuivre les faits dénoncés. La victime va devoir subir un tas de questions, se soumettre à des demandes d’examens médicaux, à des confrontations. Ce qui s’apparente à une succession d’épreuves.

Les services de police sont-ils imprégnés de stéréotypes par rapport aux femmes et à la sexualité ?

Les services spécialisés ont plutôt une vision libérale de la sexualité féminine. Mais, durant leurs enquêtes, ils auront recours à des stéréotypes. Cela peut se faire au détriment de la plaignante. Ils vont par exemple porter une attention à son comportement, vérifier si elle a anticipé la possibilité de l’agression. On attend des femmes qu’elles manifestent de la prudence. Cela va de pair avec une demande de conformité à une norme de bonne conduite dans l’espace public. La consommation d’alcool est ainsi fortement réprouvée, dissimuler une consommation d’alcool lors d’un interrogatoire peut remettre en cause la sincérité de la plaignante. Le recours à ces stéréotypes se fera surtout dans le cadre de dénonciations incertaines. Par exemple lorsqu’il n’y a pas de lésion physique, d’images de vidéosurveillance, ou si les faits sont anciens. Les policiers vont alors se raccrocher à ces stéréotypes pour établir leur jugement.