Stand des éditions du Seuil, au Salon international du livre, à Paris, en 2001. / JEAN-PIERRE MULLER / AFP

L’alliance la plus attendue de l’année dans l’édition entre Média Participations (Dargaud, Dupuis, Le Lombard, Fleurus, Rustica , Famille Chrétienne) et le groupe La Martinière (Le Seuil, Abrams, éditions de la Martinière) n’est pas encore scellée que le jeu de chaises musicales semble bien engagé. Selon des informations du Monde, le PDG des éditions du Seuil, Olivier Bétourné, 66 ans, serait remplacé prochainement par Hugues Jallon, l’actuel PDG des éditions La Découverte (Editis).

Les directions des deux groupes, qui comptent donner naissance au troisième acteur de l’édition française après Hachette Livre et Editis, n’avaient, vendredi 24 novembre, ni confirmé ni infirmé cette information, qui devait initialement être annoncée mi-décembre, après la fusion. De son côté, La Découverte démentait.

C’est donc un nouveau patron plus jeune (47 ans) et clairement ancré à gauche qui prendrait les rênes de la maison la plus convoitée de ce rapprochement capitalistique, au terme duquel Média Participations contrôlera le groupe La Martinière.

Effacé du tableau d’honneur ces dernières années

Créées par quelques passionnés fédérés par l’abbé Plaquevent (1901-1965) en 1935, les éditions du Seuil ont joué un rôle fondamental dans la production intellectuelle de l’après-guerre, notamment sous la houlette de Paul Flamand (1909-1998). Le Seuil s’est particulièrement focalisé sur la littérature internationale – en éditant Alexandre Soljenitsyne, Heinrich Böll (1917-1985), Günter Grass (1927-2015) ou J.M. Coetzee – et sur les essais en sciences sociales et en sciences humaines, en faisant la part belle à Jacques Lacan (1901-1981), Roland Barthes (1915-1980), Edgar Morin, Pierre Bourdieu (1930-2002) ou Paul Ricœur (1913-2005). Lieu de belles collections, Le Seuil peut se targuer de pépites comme « Fiction & Cie », dirigée par Bernard Comment, ou de la Librairie du XXIe siècle, créée par Maurice Olender.

Hugues Jallon connait bien Le Seuil pour y avoir travaillé de 2010 à 2014, notamment comme directeur éditorial des sciences humaines et documents, avant de retourner aux éditions La Découverte pour en devenir PDG. Egalement écrivain, il a notamment signé trois ouvrages parus aux éditions Verticales : Zone de combat (2007), Le début de quelque chose (2011) et La conquête des coeurs et des esprits (2015).

Sa tâche consistera à renforcer Le Seuil dans le trio, avec Gallimard et Grasset, des maisons historiquement les plus récompensées par les prix littéraires les plus prestigieux. L’incontournable « Galligrasseuil ». Couronné du Renaudot en 1947, Le Seuil obtient son premier Goncourt en 1959 pour Le Dernier des justes, d’André Schwartz-Bart (1928-2006). Suivront 58 récompenses, dont cinq nouveaux Goncourt. Très effacé du tableau d’honneur ces dernières années, Le Seuil a connu sa dernière belle performance en 2014, en gagnant du même coup le Médicis, le Goncourt et le Décembre.

Valse des cadres

A la tête du Seuil depuis 2010, Olivier Bétourné espérait conserver son fauteuil : « Compte tenu de ma connaissance de la maison, du rôle que j’ai joué dans son redressement, ce n’est pas au moment où Le Seuil est repris que je vais déserter. Mon désir est au contraire de contribuer à la réussite de l’opération » de reprise des éditions de La Martinière par Média Participations, expliquait-il récemment (Le Monde du 3 novembre). Ces offres de service n’auront guère porté.

Mais, s’il est une maison où la valse des cadres fait fureur, c’est bel et bien Le Seuil. Depuis le rachat de l’entreprise en 2004 par le groupe La Martinière, les portes ont souvent claqué. Le PDG, Claude Cherki, a été remercié à la suite de prises d’intérêts lors de cette opération.

Pour ne citer qu’eux, Laure Adler, restée à peine plus d’un an en 2006 comme responsable du secteur littéraire, a été débarquée. Denis Jeambar, ancien président du groupe L’Express-L’Expansion, arrivé après un douloureux plan social et une ènième crise de direction, n’a pas réussi à imprimer sa marque et a fait long feu. Son directeur général, Thierry Pech, a démissionné, moins d’un an après sa prise de fonction. La liste des éditeurs chevronnés, mais partants en raison de leur âge ou de désaccords avec la direction – à l’instar de Denis Roche, Michel Winock, Jean Lacouture, Martine Saada, Emmanuelle Vial –, est longue. Hugues Jallon est prévenu.