Documentaire sur Histoire à 20 h 40

Marcel Body : un ouvrier limougeaud dans la révolution russe
Durée : 03:55

Hormis les historiens de la révolution d’Octobre et quelques ­militants du Parti communiste français (PCF), peu de gens connaissent l’histoire de Marcel Body (1894-1984), jeune ouvrier typographe originaire de Limoges, envoyé à Moscou en 1916 dans le cadre de la mission militaire française de Russie et qui, en pleine révolution, a déserté puis s’est rallié aux dirigeants bolcheviques pour mettre sa plume et son engagement au service de Lénine et de l’Internationale communiste.

C’est cette histoire hors du commun que nous racontent Marie-Dominique Montel et Christopher Jones dans leur documentaire ­Lénine et Marcel, illustré par de rares archives, des récits d’historiens (Hélène Carrère d’Encausse, Marc Ferro) et des témoignages de proches de l’ancien typographe.

Un entretien de 1983 exhumé

Surtout, les deux réalisateurs ont repris des extraits d’un long en­tretien avec Marcel Body réalisé en 1983 par Bernard Baissat et Alexandre Skirda pour leur film EcoutezMarcel Body. A cette ­époque, les deux auteurs avaient ­proposé leurs images aux chaînes du service public, pour faire de ce témoignage exceptionnel une soirée spéciale avec la participation sur le plateau de Marcel Body. Mais, peu curieux et encore moins téméraires, les responsables de programmes, qui ignoraient tout de cette histoire, avaient refusé. Le film ne fut donc vu que par quelques personnes et tomba dans l’oubli pendant plus de trente ans.

Grâce à France 3 Limousin qui a coproduit Lénine et Marcel, le voilà, en partie, sorti du placard. Cheveux blancs, œil vif, voix haute, précis dans ses souvenirs, intransigeant dans ses convictions, Marcel Body déroule son histoire, qui s’entremêle à la grande histoire. Lénine, Trotski, Staline, Zinoviev, Kamenev : tous les dirigeants de la révolution d’Octobre sont passés en revue, sans concession. Avec une adhésion aux thèses de Lénine (dont Marcel Body deviendra l’interprète), qui veut mettre fin à la guerre, en expliquant qu’il vaut mieux « une paix atroce que des atrocités sans fin ».

Marcel Body en 1917. / HISTOIRE

Il raconte aussi les groupes communistes français de Russie, formés avec Jacques Sadoul, la violence de la guerre civile et la confrontation de l’armée blanche contre l’Armée rouge, fondée par Trotski. En adepte de l’agit-prop, Body met ses connaissances de typographe au service de la révolution pour réaliser, en français, des tracts et des journaux de propagande, distribués aux marins français dans les ports de la mer Noire, où il rencontre les mutins.

Puis les doutes s’installent. Vient alors la douloureuse désillusion, avec la prise de pouvoir par Staline, l’exil forcé, loin de Moscou, dans une ambassade en Norvège, en compagnie d’une autre militante, Alexandra Kollontaï, puis le retour en France. « Il n’hésite pas à taper du poing sur la table quand les souvenirs lui rap­pellent des moments douloureux qui l’ont conduit à se révolter, écrit Bernard Baissat sur son blog, dans lequel il raconte le tournage. Il est heureux de faire partager son enthousiasme et sa colère. Quelques heures lui suffisent pour raconter les principaux épisodes de sa jeunesse en Russie. »

Exclu du PCF en 1928, Body s’est alors rapproché des milieux li­bertaires et devint traducteur de l’œuvre de Bakounine (1814-1876), un des théoriciens de l’anarchisme. Correcteur au quotidien Libération d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie jusqu’en 1960, Marcel Body collabora ensuite au journal antimilitariste Le Réfractaire, où il y dénonça inlassablement toutes les guerres.

Lénine et Marcel,de Marie-Dominique Montel et Christopher Jones (France, 2017, 52 min).