Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert durant leur match de demi-finale de la coupe Davis contre Roben Bemelmans et Joris De Loore, au stade Pierre-Mauroy (Lille), le 25 novembre 2017. / PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

« C’est énorme pour l’équipe, bien sûr, pour moi aussi. Ils m’ont rendu service en gagnant, sinon, ça aurait été chaud pour ma gueule. » Depuis l’annonce surprise du double et la non-sélection de Nicolas Mahut et Julien Benneteau, Yannick Noah se savait attendu au tournant. Avec la victoire de Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert sur la paire belge (6-1, 3-6, 7-6, 6-4), samedi 25 novembre au stade Pierre-Mauroy de Villeneuve-d’Ascq, il a donc gagné la première partie de son pari. Un tandem formé pour l’occasion, sans avoir disputé un seul match côte à côte avant cette rencontre. Qui plus est en finale de Coupe Davis.

Le choix était audacieux, sinon insensé. « C’est vrai que c’est beaucoup plus simple de prendre la décision politiquement correcte, comme ça, on peut perdre avec les honneurs. Parfois, il faut prendre des décisions qui ne sont pas faciles. Celle-là était vraiment difficile », concédera Noah samedi soir. L’issue lui donne raison, même si le scénario du match fut pour le moins décousu.

« Presque trop facile »

La paire Bemelmans-De Loore réalise une entrée en matière cauchemardesque, paralysée par l’enjeu et particulièrement empruntée. Incapables de retourner, les 274e et 343e joueurs mondiaux dans la discipline sont en retard sur chaque balle. De l’autre côté du filet, Richard Gasquet et Pierre-Hugues Herbert sont impériaux dans tous les secteurs du jeu : à la volée, au service et en retour. Un niveau de jeu quasi parfait qui fera dire à Noah, après coup, que « c’[était] presque trop facile ». La France l’emporte 6-1 en à peine une demi-heure de jeu.

Au lieu de poursuivre sur leur lancée en accentuant la pression sur leurs adversaires, les Français se mettent à gamberger… et à déjouer. Simultanément, les Belges rentrent dans le match et prennent les devants dès le début du deuxième set. Le doute s’installe dans la tête de Pierre-Hugues Herbert, qui enchaîne les doubles fautes et laisse son compatriote faire le jeu. Mais Gasquet, très solide depuis le début du match, connaît à son tour une baisse de régime. Les Français laissent les Belges revenir à un set partout (6-3).

« On savait qu’on aurait un bon niveau tennistique mais qu’il allait surtout falloir être solides dans la tête. Ça s’est joué au troisième set : on se retrouve à 5-3, on fait jouer et on réalise surtout un énorme tie-break », résumera Gasquet. La troisième manche s’avère effectivement déterminante. Dominés pendant les deux tiers du set par Joris De Loore et Ruben Bemelmans, qui ont servi pour mener deux manches à une, Gasquet et Herbert l’arrachent finalement au terme d’un tie-break parfaitement négocié. Yannick Noah harangue le public, La Marseillaise retentit dans les tribunes, et les 27 000 spectateurs sont debout.

Une ambiance à la hauteur de l’événement

L’influence du public, souligneront les deux joueurs, a été capitale. « C’est peut-être pour ça qu’on a réussi à tenir », admettra Pierre-Hugues Herbert. La veille, il avait fallu attendre le milieu du deuxième simple pour que l’ambiance soit à la hauteur de l’événement. « Il y avait 3 000 à 4 000 supporteurs belges, 3 000 à 4 000 supporteurs [français], et puis y’avait 20 000 spectateurs », avait cinglé Noah. Le message a été reçu.

« C’est vrai qu’hier [vendredi], on était un peu déçu, mais beaucoup de gens ont réalisé que ce point était très important. Aujourd’hui, le public a été extraordinaire. De mémoire de capitaine, je n’ai pas le souvenir d’avoir eu une telle ambiance depuis toutes ces années. Cela se rapproche de ce que l’on avait vécu à Lyon [lors de la finale 1991 remportée contre les Etats-Unis de Sampras et Agassi]. Les gens ont compté. Sur un tel match, cela se joue à tellement peu de chose… »

Dans le quatrième set, dos au mur, la paire De Loore-Bemelmans lâche ses coups et met la pression sur ses adversaires. À nouveau en difficulté sur sa mise en jeu, Pierre-Hugues Herbert doit sauver deux balles de 4-2. Le rapport de force s’inverse dès le jeu suivant, où la paire belge concède son service, sur un smash caviardé par Ruben Bemelmans, le plus friable des deux joueurs belges durant toute la rencontre. Les spectateurs vocifèrent des « allez les Bleus ! », scandant le prénom de Gasquet à chacune de ses mises en jeu. Noah, lui, bondit de sa chaise, survolté. Les Français l’emportent finalement 6-4 après trois heures de jeu et mènent désormais 2-1 dans cette finale.

En cas de défaite, l’horizon se serait brutalement assombri pour le clan français, avant le match qui doit opposer les deux numéros un – Jo-Wilfried Tsonga contre David Goffin –, dimanche en début d’après-midi. Sur la lancée de son parcours de finaliste au Masters de Londres et au vu de sa démonstration vendredi face à Lucas Pouille, le 7e mondial paraît injouable. S’il venait à gagner, les deux équipes seraient alors départagées au terme du cinquième match. Si côté belge, le choix de Steve Darcis, « Monsieur Coupe Davis » (il est invaincu en cinq matchs décisifs) est patent, la décision de Noah est, elle, encore incertaine. Lancer Lucas Pouille ou bien Richard Gasquet ? Dans un cas comme dans l’autre, le joueur tricolore porterait sur ses épaules le poids de toute une nation. Le match d’une vie, en somme.