Parti de Bretagne le 4 novembre, le navigateur François Gabart raconte pour Le Monde son tour du monde en solitaire à bord d’un trimaran géant qu’il essaiera de ramener à bon port en moins de 49 jours, record à battre. Deuxième volet.

Francois Gabart lors d’un entraînement en Bretagne, au mois d’octobre 2017, avant le départ de son tour du monde. / Jean-Marie LIOT / ALeA

Et de deux ! Après le cap de Bonne-Espérance, celui de Leeuwin. Je l’ai passé vendredi, au sud de l’Australie. Là je compte passer sous l’île de Tasmanie en fin de journée [samedi 25 novembre].

Depuis trois semaines que je suis parti, je n’ai toujours pas aperçu un seul bout de terre. Je ne suis pas passé loin des îles Kerguelen. Des îles Crozet non plus : environ à une trentaine de milles [48 km], en plein océan Indien. Ça m’aurait bien plu de la voir. Pas grand-monde n’a déjà eu cette chance. Peu d’humains, en tout cas ! L’Antarctique non plus, je ne l’ai pas vu, ni ses glaçons, ni ses icebergs, ni sa banquise. Je m’en suis approché, forcément, mais à distance raisonnable : quelques centaines de kilomètres.

Bon, j’ai quand même fait quelques « rencontres ». Le dernier bateau que j’ai vu de mes yeux, c’était au large du Brésil. Une espèce de cargo avec des grues, je ne sais pas trop ce qu’il transportait. Mais on n’a pas eu d’échanges.

La Mini-Transat, en pleine nuit

Le seul échange que j’ai eu avec un autre bateau, c’était dès les premiers jours de course. Assez surprenant et amusant, je dois dire : je croise un cargo un peu surpris de voir mon voilier avancer à quasiment 40 nœuds (74 km/h environ). Il faut dire que j’avais le vent avec moi. On a communiqué par ondes, comme on peut le faire d’un bateau à un autre. Je ne sais pas de quelle nationalité, on a parlé anglais. Il m’a d’abord demandé d’où je venais. Je lui réponds : « de Brest ». Puis où j’allais : « à Brest aussi ! ». Lui comptait s’arrêter à Gibraltar.

Sinon, j’ai aussi croisé au niveau du Cap-Vert quelques bateaux qui participaient à la Mini-Transat… mais sans les voir ! Il faisait nuit et si mes ondes radio ne les avaient pas détectés, je n’en aurais rien su.

J’ai l’impression que je vois plus de choses en ce moment que si je participais à une croisière pour les vacances.

Quand le bateau ne va pas trop vite, il y a parfois la possibilité de sortir le nez dehors de ma cabine. Et là, tu vois de belles choses. Je n’ai pas le temps d’être dans la contemplation, mais j’observe les éléments autour de moi : c’est autant d’informations sur la météo à venir. A défaut de terre ferme, j’observe le ciel et la mer. L’eau change chaque jour, ses couleurs aussi. Depuis quelques jours, elle tire sur le gris.

J’ai l’impression que je vois plus de choses en ce moment que si je participais à une croisière pour les vacances. Là, je prête attention aux vagues qui arrivent, j’essaie de comprendre leurs ondulations, qui souvent se superposent. J’essaie de déceler les bonnes périodes, les bons angles qui font que le bateau glisse vite. Certaines sont si violentes, si majestueuses… On en voit rarement de pareilles dans le golfe de Gascogne ! J’observe les nuages, aussi. Il m’arrive de les décrire à mon équipe météo en Bretagne, pour faire le lien entre les images satellites qu’elle voit et ce que je vois sur place.

Mais bon, pour répondre à la question d’il y a deux semaines dans ma précédente chronique, j’ai quand même réussi à diversifier les musiques que j’écoute à bord ; entre l’électro, le rock, la chanson française, j’ai de quoi faire.

Par François Gabart

François Gabart après le franchissement du cap Leeuwin, au large de l’Australie, le 23 novembre 2017. / Crédit : François Gabart.