A Rakka, l’ancien fief syrien de l’organisation Etat islamique repris par les forces kurdes, le 16 novembre. / Laurence Geai POUR LE MONDE

Après huit mois d’interruption, les négociations intersyriennes sous l’égide de l’ONU, destinées à trouver une issue politique au conflit et à jeter les bases d’une transition, doivent reprendre mardi 28 novembre à Genève. Les Nations unies, mais aussi les grandes capitales occidentales et arabes marginalisées par les initiatives diplomatiques de Vladimir Poutine, cherchent ainsi à reprendre la main.

Avec l’écrasement de l’organisation Etat islamique (EI) et la reprise, par le régime et ses alliés iranien et russe, de bon nombre des territoires auparavant aux mains des djihadistes, se dessinent désormais plus clairement les enjeux de l’après-guerre. Si les combats restent intenses dans l’enclave rebelle de la Ghouta, assiégée et bombardée par le régime, notamment aux portes de Damas, ils ont quasiment cessé dans trois des quatre « zones de désescalade » négociées entre Russes, Iraniens et Turcs dans le cadre du processus d’Astana, lancé en janvier 2017 dans la capitale du Kazakhstan, sous le parrainage de Moscou. Le représentant spécial de l’ONU, Staffan de Mistura, qui se définit volontiers comme « un incorrigible optimiste », veut croire que les négociations de Genève vont pouvoir sortir de l’impasse après plus d’un an et demi de piétinement et de longues interruptions dues aux offensives du régime.

« J’espère que, d’ici à la fin de l’année, un signal clair sera envoyé au peuple syrien que nous tournons la page du passé, et que tous les problèmes relèveront du champ politique », a lancé Staffan De Mistura, le 24 novembre à Moscou, où il s’était rendu pour tenter de convaincre le Kremlin d’appuyer le processus de paix onusien.

Vladimir Poutine, après avoir reçu à Sotchi, sur la mer Noire, le président syrien Bachar Al-Assad puis ses homologues turc et iranien, Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani, veut organiser un congrès des peuples de Syrie, réunissant le régime, l’opposition et toutes les composantes ethniques et politiques du pays. Moscou assure vouloir ainsi « stimuler » le processus de Genève, mais non s’y substituer. M. Poutine a par ailleurs déclaré à Donald Trump, lors d’un entretien téléphonique, vouloir « trouver une solution à long terme » pour le pays. Si la Russie s’est affirmée comme une puissance incontournable en Syrie depuis son intervention militaire de l’automne 2015, elle ne peut prétendre être le seul faiseur de paix, d’autant que sa puissance économique équivaut à celle de l’Italie.

« Les autorités russes sont conscientes de leurs limites et elles ont besoin de donner une légitimité internationale à leur action diplomatique, ce qui passe nécessairement par Genève et par les Nations unies », analyse-t-on à l’Elysée. Paris voudrait revenir dans le jeu diplomatique syrien, d’autant que les forces françaises ont été – après celles des Etats-Unis, mais très loin derrière – les plus engagées dans la coalition contre l’EI.

Délégation unie de l’opposition

Un des grands problèmes, côté occidental, a été l’illisibilité de la nouvelle administration américaine sur le dossier syrien depuis l’élection de M. Trump. Peu à peu, Washington sort du flou, notamment en rappelant par la voix de Nikki Haley, son ambassadrice à l’ONU, les crimes du régime et en assurant que Bachar Al-Assad ne peut incarner à terme l’avenir de son peuple. Une position proche de celle de Paris : même si Emmanuel Macron a cessé de réclamer à haute voix le départ du dictateur syrien, il a rappelé à plusieurs reprises, y compris devant l’assemblée générale de l’ONU, que Bachar Al-Assad devrait un jour répondre de ses exactions. En outre, les liens de Paris avec l’opposition syrienne restent forts.

Juste avant sa visite à Moscou, Staffan de Mistura a fait étape à Riyad, en Arabie saoudite, où se trouvaient les différentes composantes de l’opposition syrienne, qui ont décidé, pour la première fois, de présenter une délégation unie à Genève, en intégrant des opposants dits modérés, acceptés par le régime, dans le cadre des discussions à venir avec Damas. Un Conseil des négociations de cinquante membres, dont la présidence a été attribuée à Nasser Al-Hariri, un cardiologue déjà présent aux discussions de Genève, conduira les négociations.

Il n’exige plus le départ de Bachar Al-Assad comme préalable au règlement du conflit. Tous les pourparlers précédents avaient achoppé sur cette exigence, devenue plus difficile à soutenir depuis la victoire militaire du régime. « L’opposition doit être assez réaliste pour comprendre qu’elle n’a pas gagné la guerre », répétait depuis des mois M. de Mistura. Ces changements confortent les espoirs de l’émissaire onusien, qui se sait aussi totalement soutenu par le nouveau secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres.

« Gouvernance inclusive »

Le dernier épisode de discussions au bord du Léman s’était achevé en mars sans résultat. Mais en fait, les négociations n’ont jamais réellement commencé. Pas une seule fois les négociateurs du régime et ceux de l’opposition n’ont discuté face à face dans la même pièce, tout au long des sept cycles entamés en mars 2016 dans le cadre de la résolution 2254 du Conseil de sécurité de décembre 2015, la seule sur la Syrie qui n’ait pas été bloquée par un veto russe.

Staffan de Mistura, ou l’un de ses collaborateurs, faisait la navette entre les différentes salles du palais des Nations, à Genève, rencontrant successivement les délégations du régime, de l’opposition, et celles des groupes dits « du Caire » et « de Moscou », qui regroupent des opposants adoubés par Damas et qui restaient en marge des tractations. « Quitte, au passage, à beaucoup arrondir les angles en rapportant à chacune des parties ce qu’exigeait l’autre », rapporte avec ironie un diplomate, tout en reconnaissant des points de convergences entre les parties « sur la souveraineté, l’intégrité territoriale du pays et la continuité de l’Etat ». L’opposition assure être désormais prête à parler directement et sans condition préalable avec le régime. Jusqu’alors, les représentants de Damas avaient refusé de traiter avec ceux qu’ils qualifiaient de « terroristes ». Sont-ils prêts à vraiment négocier cette fois-ci ?

Les discussions doivent porter sur les trois thèmes prévus par la feuille route de la résolution 2254 : l’instauration d’une « gouvernance crédible, inclusive et non sectaire », l’élaboration d’une nouvelle Constitution, puis la mise sur pied d’élections « avec le niveau le plus élevé de transparence sous la supervision des Nations unies ». Un quatrième panel a été rajouté au printemps dernier, à la demande du régime, sur le « terrorisme ». Mais la question centrale reste celle de l’organisation du pouvoir et de l’avenir de Bachar Al-Assad.

Dans la négociation serrée qui s’annonce, les Occidentaux et les capitales arabes qui soutiennent l’opposition syrienne disposent d’un levier essentiel pour obliger le régime à accepter une véritable transition : les fonds qui seront alloués à la reconstruction de la Syrie, un chantier titanesque. « Il est essentiel que les Européens mettent en avant cette dimension d’un réel changement politique en Syrie, analyse Galip Dalay, chercheur à la fondation Al-Sharq et un des meilleurs spécialistes de la région. Car autrement, cette crise continuera encore longtemps. »