Pour François Dabis, à la tête de l’Agence ­nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS), la persistance des inégalités Nord/Sud frei­ne l’endiguement de l’épidémie.

Face au VIH, quel est le premier enjeu de l’innovation dans les pays du Sud ?

C’est un enjeu de simplification. Prenons l’exemple de l’accès aux soins des populations vivant avec le VIH. Nous avons besoin de ­solutions qui facilitent la tâche des personnels de santé et qui abaissent les coûts de la prise en charge. Les systèmes politiques et sanitaires de ces pays restent fragiles : plus ils disposeront de solutions simples et adaptées à chaque ­contexte, plus ils pourront les ­rendre accessibles au plus grand nombre. Aujourd’hui encore, sur l’ensemble du continent africain, environ la moitié des personnes séropositives sont sous traitement. Dans le même temps, un nombre croissant de personnes entre dans les systèmes de soins, ce qui les fragilise encore plus.

Quelles sont les autres pistes de simplification ?

Pour le dépistage, d’énormes progrès ont été accomplis dans la diversification des outils. On dispose de tests rapides d’orientation diagnostique (TROD) du VIH. Mais leur diffusion reste très limitée, pour des raisons de logistique et de coûts. On manque de bons modèles de diffusion de ces tests qui les ­­­ren­draient efficaces.

Il faudrait, par ailleurs, promouvoir un dépistage conjoint du VIH et des hépatites B et C. Enfin, même si leurs coûts ont baissé, ces tests restent trop chers, comme les tests de suivi biologique des patients traités. C’est inacceptable alors que le marché est considérable.

Pour proposer de nouveaux outils de mesure de la charge ­virale à moindre coût, adaptés au contexte africain, un vaste ­programme a été monté par un consortium dont l’ANRS fait ­partie, financé par Unitaid. Il se déroule au Burundi, en Guinée, au Cameroun et en Côte d’Ivoire.

Quels sont les progrès ­nécessaires ?

Il y a un grand besoin d’innovation sociale pour s’attaquer à la discrimination des personnes séropositives. En Afrique, leur stigmatisation est encore la règle. Il faut inventer de nouvelles façons de communiquer et de mobiliser les communautés. Mais il faut aussi un volontarisme politique. Or, au fil du temps, les politiques nationales ont plutôt faibli. Nombre de leaders politiques autrefois très actifs sont vieillissants. Le ­président de l’Ouganda, Yoweri Museveni, leader jadis charismatique, a permis à l’épidémie de régresser mais son discours est moins audible. Tous les indicateurs de l’épidémie sont clignotants en Ouganda : des lois homophobes ont notamment été votées par son Parlement. L’Onusida pourrait davantage assurer son rôle de chef d’orchestre, en incitant les politiques à jouer leur partition.

Ces discriminations retardent l’entrée des personnes infectées dans les systèmes de santé…

Oui. C’est une perte de chances massive, ces personnes ne parviendront pas à récupérer un ­système immunitaire efficace. D’où un cortège de complications et d’infections opportunistes. En Amérique du Nord et en Europe, une minorité de patients arrive dans le système de soins avec un diagnostic tardif. Dans beaucoup de pays d’Afrique, c’est la majorité. On voit des situations semblables à celles que l’on trouvait en France il y a plus de vingt ans : des patients souffrant de tuberculose avancée, d’infections à cryptococcose, responsables de méningites… Ces maladies opportunistes restent le quotidien des pays en développement. Elles imposent des protocoles de prise en charge complexes, avec des risques d’interactions entre médicaments.

Comment alors améliorer l’organisation des systèmes de santé mis sous tension ? Comment améliorer la prise en charge des méningites à cryptococcose ou de la tuberculose chez les patients vivant avec le VIH ? Il y a un besoin de nouvelles stratégies thérapeutiques et de nouveaux médicaments plus efficaces. En l’absence d’intérêt notable des industriels, l’espoir vient des programmes développés par les organisations à but non lucratif : Unitaid, le DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative) ou la Fondation Gates, et, pour la recherche, d’organismes publics comme l’ANRS.

Infographie Le Monde

Quid des antirétroviraux ?

Depuis trois à quatre ans, l’innovation est repartie sur le front de ces médicaments qui ciblent le VIH. Les antirétroviraux de dernière génération sont plus efficaces, ils ont une meilleure « durabilité » (le patient peut rester plus de sept ans traité par la même molécule), ils sont bien tolérés, faciles d’usage et induisent moins de résistance et de complications. Ils ­offrent une meilleure qualité de vie mais ils sont aujourd’hui réservés aux pays occidentaux. En 2003 et 2004, quand les pays du Sud ont eu accès aux trithérapies, les molécules dont ils disposaient étaient celles que les pays riches commençaient à abandonner.

Progressivement, toutefois, les traitements utilisés ont été à peu près les mêmes partout. Ce n’est plus le cas : l’usage du Truvada, par exemple, régresse dans les pays ­riches mais il reste majeur ailleurs. C’est une demande forte de l’ANRS et des organisations non gouvernementales : il faut raccourcir les délais d’accès à ­l’innovation thérapeutique dans les pays du Sud.

Ce dossier a été réalisé en partenariat avec Unitaid.