Lors de la cérémonie d’intronisation du président zimbabwéen Emmerson Mnangagwa, à Harare, le 24 novembre. / BRAM JANSSEN/AP

Journaliste au Monde, Jean-Philippe Rémy a couvert au Zimbabwe le coup de force politique et militaire qui a abouti à la démission, le 21 novembre, de Robert Mugabe, à la tête du pays pendant trente-sept ans, et à l’arrivée à la présidence par intérim de l’ex-vice-président Emmerson Mnangagwa. A l’occasion d’un tchat, il a répondu aux questions des internautes.

Mrc : Dans quelle mesure l’arrivée au pouvoir d’Emmerson Mnangagwa, qui reste un proche de Robert Mugabe, constitue une alternance ? Quid de la force d’opposition ?

Jean-Philippe Rémy Voir Mugabe partir, pour l’opposition, c’est espérer enfin voir des réformes s’accomplir, c’est une chance d’ouvrir la fenêtre. A l’extérieur, beaucoup d’observateurs se disent que ce calcul est dangereux, car il revient à valider un coup d’Etat. Mais en substance, les responsables de l’opposition préfèrent considérer que tout vaut mieux que Robert Mugabe. Maintenant, ils espèrent collectivement voir surgir des formules de coalition pour l’exercice du pouvoir ou obtenir des garanties pour que les élections de 2018 se déroulent dans la transparence.

Youhou : Peut-on vraiment espérer une transition « démocratique » ? Emmerson Mnangagwa ne semble pas tout à fait prêt à s’engager dans cette voie.

Jusqu’ici, il y a des facteurs contradictoires. D’un côté, on comprend que la manœuvre a consisté à donner une seconde jeunesse à la ZANU-PF et lui permettre de rester au pouvoir. Et cela passe par des élections vers juillet 2018. Comme le dit si justement Albert Gumbo, un opposant en exil : « Ils n’ont pas combiné cette opération pour chasser Mugabe du pouvoir et perdre les élections ensuite. »

Lorsque Emmerson Mnangagwa est arrivé au Zimbabwe, jeudi 23 novembre, il a fait un rapide discours au siège de la ZANU-PF, et il a eu des mots très durs en langue shona, contre l’opposition. Il a terminé en disant : « Pasi nemhandu pamberi nekubatana ! » (à bas les ennemis, vive l’unité). Ce n’est pas non plus une déclaration de guerre !

De plus, on sent l’intention de changer les règles du jeu afin de donner un nouvel élan dans le pays, pour opérer une forme de normalisation. Alors, il n’est pas interdit de penser que le cadre général va évoluer concernant la vie démocratique au Zimbabwe.

Charles : Sait-on quand sera nommé le prochain gouvernement ?

Emmerson Mnangagwa a été investi président, il lui appartient désormais de nommer son gouvernement – une annonce pourrait être faite dès mardi 28 novembre, mais attendons – et ses deux vice-présidents.

Romain : Après que l’armée a, avec le soutien du peuple et des proches de l’ancien président, réussi à le renverser, doit-on craindre le rôle accru des militaires dans la vie politique et sociale locale avec des dirigeants sous menace perpétuelle d un coup d’Etat ?

Il faut garder à l’esprit que l’armée a en général exercé une très grande autorité au Zimbabwe depuis l’indépendance en 1965. Les généraux sont ceux qui ont mené la guerre pour l’indépendance, qui a été très violente, et leur influence a été autant morale, politique qu’économique. L’exploitation minière, par exemple, est en grande partie contrôlée par l’armée où des sociétés contrôlées par les généraux.

Mais avec les récents événements, l’armée a pris une place centrale qui dépasse ce cadre habituel. Emmerson Mnangagwa a bâti son réseau sur la base d’une partie importante des forces armées et de l’association des vétérans de la guerre de libération. On va voir à présent comment l’exercice du pouvoir agit sur cette alliance et si M. Mnangagwa est un président sous influence (ce dont on peut douter), ou si, simplement, les généraux vont se voir offrir de larges prébendes, dans une économie réactivée…

Dédé : Que va devenir Grace, la femme « la plus détestée du Zimbabwe » ?

Tel qu’on voit se définir l’accord, le contrat qui a été discuté les jours derniers, la famille de Robert Mugabe va se voir octroyer une formule correspondant au statut d’ancien chef d’Etat. Leurs biens sont protégés.

Colbv : Que sait-on de la politique du nouveau président ? Celle-ci semble reposer sur l’indemnisation des fermiers expulsés. Que sont-ils devenus et sont-ils prêts à revenir, vingt ans plus tard ?

Le fait que la question des fermiers blancs apparaisse de manière tellement marquée dans les déclarations d’Emmerson Mnangagwa mais aussi du président de l’association des vétérans, Chris Mutsvangwa, a de quoi surprendre. Il ne me semble pas que ce soit l’absolue priorité du Zimbabwe que de se pencher sur ce cas, et de déterminer quelles devraient être les compensations qui devraient leur être versées (du reste avec quel argent ?). On peut plutôt y voir un geste à destination de l’extérieur, peut-être une façon de dire que les règles de la propriété seront désormais garanties dans le pays.

La question des fermes est très complexe. Elle a pris une tournure passionnelle dans les opinions occidentales, mais le bilan général de cette campagne menée certes de manière désastreuse est bien plus complexe qu’on ne le croit en général. Bref, l’enjeu pour le nouveau pouvoir, c’est de changer les règles au Zimbabwe pour faire décoller le pays, et cela ne passera peut-être pas par des progrès en matière de démocratie.

Cedric : La France est inexistante au Zimbabwe, le Royaume-Uni y a une mauvaise image de colonisateur. Comment l’Union européenne pourrait-elle aider et pousser vers une transition démocratique ?

Emmerson Mnangagwa a réussi à séduire les Britanniques avec un discours très engageant, sur la base d’« Oublions le passé ». Il a réussi la même chose avec la Chine, et donc, schématiquement, on trouve pour la première fois un dirigeant qui parvient à se trouver des alliés et des amis à l’Est comme à l’Ouest. Le tout doit être lié, pour faire court, aux grandes ressources minières du Zimbabwe.

L’Union européenne, de son côté, est arrivée à la conclusion qu’il fallait ouvrir les relations avec le pays, et, disons-le, des initiatives pour faire sauter les dernières sanctions sont déjà discutées. C’est un peu comme si de très nombreux acteurs – y compris en Afrique australe et pas que dans les milieux d’opposition –, avaient attendu que Robert Mugabe s’en aille pour enfin tourner une page.