Dans sa thèse « Ségrégations universitaires en Ile-de-France », récompensée par l’Observatoire national de la vie étudiante et publiée par la Documentation française, Leila Frouillou, docteure en géographie de l’université Paris-I, étudie les inégalités d’accès et les trajectoires des étudiants.

Votre thèse montre que le système universitaire en Ile-de-France est loin d’être uniforme, et que des logiques de « ségrégation » sont à l’œuvre. Quelles sont ces logiques ?

On a tendance à penser que l’enseignement supérieur en Ile-de-France, qui concentre plus de 600 000 étudiants, dont un peu plus de la moitié sont inscrits dans une des seize universités publiques de la région, est un système uniforme face au monde sélectif des classes préparatoires, aux écoles et aux BTS, sans compter le secteur privé de l’enseignement supérieur. Le regard des sociologues est souvent polarisé sur les filières d’excellence : combien d’enfants d’ouvriers rentrent à Sciences Po ou à Louis-le-Grand ?

Mais les différences de recrutement dans les universités ont été laissées dans l’ombre alors qu’elles permettent de comprendre la répartition des étudiants dans un territoire hiérarchisé et inégalement accessible. J’ai essayé de montrer, dans ma thèse, que c’est l’articulation de plusieurs facteurs qui jouent dans la ségrégation universitaire, pour dépasser l’idée que le seul critère géographique joue un rôle.

Quand on regarde les origines sociales des étudiants en première année de licence, on voit clairement les premières disparités sociales entre établissements qui proposent des filières équivalentes. Par exemple, il y a 4 % d’enfants d’ouvriers à Paris-II (Assas) contre 14 % à Paris-XIII (Villetaneuse), et, inversement, il y a 45 % d’enfants de cadres à Paris-II contre 18 % à Paris-XIII. Ces écarts sont encore plus marqués en droit qu’en AES [administration économique et sociale], et ils sont particulièrement forts à l’entrée en première année de licence.

Ces disparités s’expliquent-elles par la localisation de ces universités ?

Une analyse rapide pourrait amener à opposer les universités de Paris à celles de banlieue. Or on se rend compte que cette opposition ne tient pas, avec une analyse plus fine. Par exemple, l’université de Nanterre est considérée comme une université parisienne par les étudiants en droit, le recrutement y est d’ailleurs légèrement plus favorisé qu’à Paris-I Sorbonne en première année. Autre exemple, le recrutement social de l’université Versailles Saint-Quentin se distingue nettement des universités comme Paris-XIII (Villetaneuse) par exemple, alors que toutes deux sont situées en banlieue.

Les étudiants sont très conscients de ces hiérarchies entre universités. Ils le constatent dès les journées portes ouvertes, moment où ils peuvent voir s’ils sont ajustés à ce monde-là. Les enseignants sont aussi conscients des différences de publics, qui impliquent parfois des ajustements pédagogiques. Et au fur et à mesure de leur avancement dans leur cursus les étudiants ont une meilleure compréhension de cette hiérarchie.

Quel rôle jouent les transports dans ces logiques ?

De nouvelles antennes et de nouvelles universités sont créées grâce au plan U 2000, lancé en 1991, alors que le nombre d’étudiants augmente fortement. De nouvelles antennes et de nouvelles universités sont créées, à Cergy-Pontoise, Evry Val d’Essonne, Marne-la-Vallée, Versailles Saint-Quentin, avec cette idée de mailler le territoire, et notamment celui de l’Ile-de-France. Ces universités ne sont pas placées n’importe où, leur localisation a été pensée avec le système de transport.

Cependant on voit bien avec les cartes géographiques que de grandes portions du territoire francilien sont à plus de deux heures des universités, même en ajoutant ces nouvelles universités positionnées près du RER. L’accès au premier cycle n’est pas qu’une question de sélection scolaire ou de système d’affectation, il dépend aussi de l’accessibilité en transport ou en voiture pour les étudiants qui peuvent en avoir une, et donc l’offre de logements étudiants… L’âge moyen de décohabitation est très élevé en Ile-de-France : les étudiants restent plus longtemps chez leurs parents faute de logements accessibles. Cet enjeu des transports et des logements permet aussi de poser la question de la pauvreté dans les milieux ruraux et périurbains franciliens, souvent oubliée.

Vous faites la comparaison entre les universités Paris-I Panthéon-Sorbonne et Paris-VIII Vincennes Saint-Denis. Qu’en ressort-il ?

J’ai choisi une université parisienne et une grande université de première couronne à proximité du métro qui avaient une offre de formation similaire, notamment dans les humanités. L’une porte dans le nom de « Sorbonne » l’autre de « Saint-Denis ». Cette dernière, Paris-VIII, se définit comme une université monde, cosmopolite et accueille beaucoup d’étudiants étrangers. L’université Paris-I mise sur une communication autour de l’excellence et sur son rang à l’international. Elle met aussi en scène son histoire, et remonte jusqu’au Moyen Age, car le passé est un élément de prestige.

Paris-I est engagée dans une stratégie de marque pour attirer les meilleurs bacheliers. Cette stratégie est accompagnée d’un magazine distribué dans les grands lycées parisiens et de province ou dans les classes prépas. Je me souviens d’un test, « Avez-vous le niveau Sorbonne ? », qui pourrait jouer un rôle de repoussoir pour ceux qui ne réussissent pas le test. Cela montre que les étudiants sont de plus en plus placés dans une posture de consommateur dans un espace très concurrentiel.

J’ai aussi observé la différence de présentation formelle entre les licences de droit, par exemple. Paris-I insiste sur les ECTS [système européen de transfert et d’accumulation de crédits], alors que Paris-VIII insiste davantage sur l’encadrement et le tutorat. Les effectifs y sont plus faibles donc les étudiants enquêtés soulignent la relation de proximité avec les enseignants.

Quel a été le rôle de l’algorithme Admission post-bac dans cette ségrégation, et que peut-on attendre de la plate-forme qui va le remplacer, Parcoursup ?

Le système d’affectation fonctionnait jusqu’ici sur un critère géographique qui privilégiait les candidats de l’académie, ce qui pouvait se traduire par des sentiments de discrimination territoriale. Dans la réforme à venir, les candidats pourront candidater dans toutes les académies sans cette priorité, mais pour éviter l’engorgement très fort, par exemple à Paris, les recteurs pourront quand même fixer un quota maximal de candidatures extra-académiques. On voit bien ici la dimension toute politique de cette réforme.

Le système APB avait ses défauts, en demandant notamment aux étudiants de fines stratégies dans l’ordre des vœux, ou à travers le tirage au sort aléatoire, mais il était améliorable et posait avant tout la question des capacités d’accueil saturées de certaines formations. On peut craindre avec le nouveau système, tel qu’il est actuellement défini, qu’il y ait des files d’attentes a priori très longues qui joueront au détriment des plus faibles scolairement : on va avoir des propositions au fil de l’eau qui vont générer beaucoup d’incertitudes. La mise en place de la sélection, à partir d’attendus, va mécaniquement renforcer les écarts scolaires et donc la hiérarchisation des disciplines et des établissements.

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Dans chaque ville, les conférences permettront au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers sont aussi prévus. Vous pouvez vous inscrire gratuitement à une ou plusieurs conférences d’« O21 » Nancy en suivant ce lien. Pour les autres villes, les inscriptions se font via ce lien.

Pour inscrire un groupe de participants, merci d’envoyer un e-mail à education-O21@lemonde.fr. L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.