La soirée fut longue et éreintante à l’Assemblée nationale sénégalaise. Samedi 25 novembre, alors que les débats sur le budget 2018 du ministère des affaires étrangères et des Sénégalais s’éternisaient, il a fallu attendre 22 h 30 pour que Moustapha Niasse, président de l’institution, annonce ouverte la séance tant attendue. Celle qui doit présenter les conclusions de la commission ad hoc chargée de statuer sur la levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall. Le maire de Dakar, élu député en août et incarcéré depuis plus de huit mois, est accusé, entre autres, de « détournement, escroquerie aux deniers publics et blanchiment de capitaux », à hauteur de 1,8 milliard de francs CFA (2,7 millions d’euros).

Afin de prévenir toute mobilisation en faveur du maire, très populaire dans sa ville, la police avait pris soin de fermer à la circulation les rues menant à l’Assemblée. Une mesure de sécurité faisant suite à une échauffourée, trois jours auparavant, devant la maison d’arrêt de Rebeuss où est détenu le maire. Une trentaine de ses soutiens avaient été dispersés au gaz lacrymogène après avoir bloqué la circulation devant la prison.

« Une série de violations »

Dans l’Hémicycle rempli de journalistes, Seydou Diouf, député de la majorité et rapporteur de la commission, en a présenté les conclusions. Après quatre réunions, la commission a décidé, à sa majorité, de recommander à l’Assemblée nationale « de lever l’immunité parlementaire du député Khalifa Sall pour permettre la poursuite des actes de procédure ». Une consigne que les députés ont suivie à une écrasante majorité : 125 d’entre eux ont voté pour et seulement 25 contre. Aucun ne s’est abstenu.

Au député Déthié Fall, membre de la commission et de la coalition du maire de Dakar, Manko Taxawu Sénégal, de se lever pour demander un ajournement, justifié selon lui par « une série de violations des procédures » dont il affirme voir été témoin lors des séances de la commission et qui l’ont conduit à démissionner le 23 novembre avec deux commissionnaires de l’opposition. Sa requête est rapidement soutenue par des collègues protestant vigoureusement contre le fait que Khalifa Sall, incarcéré, n’a jamais été entendu par ses pairs dans une séance plénière comme l’exige la loi. Le président de l’Assemblée a tenté tant bien que mal de calmer les esprits, rappelant que la loi lui interdit de procéder à un ajournement.

L’ambiance est électrique. A la sortie de l’Hémicycle, Aymerou Gningue, le président de la commission et député du groupe parlementaire de la majorité, la coalition présidentielle Benno Bokk Yakaar (BBY), a essayé de se défendre devant une forêt de micros. « Comment voulez-vous entendre quelqu’un qui ne veut pas être entendu ?, lance-t-il en nage. Depuis trois mois, vous entendez les avocats de Khalifa Sall dire qu’il ne sera jamais entendu. Qu’est-ce que vous voulez ? Que l’on bloque la procédure ? »

« Nous avons quitté les rangs de la démocratie »

Aux reproches de l’opposition qui souligne que la commission n’a jamais audité le maire en prison, il répond : « Nous avons créé les conditions pour entendre Khalifa Sall. Nous avons commis le ministre de la justice avec des personnes assermentées. Ils lui ont porté une convocation que Khalifa Sall a refusé de prendre. Alors un constat de carence a été versé au dossier. Donc, c’est tout à fait dans la légalité, s’emporte-t-il avant de tempérer. Nous sommes aujourd’hui en train d’organiser les conditions d’un procès qui va être démocratique, juste et équitable. »

Dans les rangs du maire, la colère est débordante. Cheikh Bamba Dièye, député du Front pour le socialisme et la démocratie, s’emporte : « J’ai l’impression que tout le combat démocratique du Sénégal vient d’être piétiné. A quoi nous servent nos lois et la répartition des pouvoirs si un citoyen dans ce pays ne peut pas faire valoir son droit élémentaire à une défense ? On a nié l’immunité parlementaire de Khalifa Sall pour le maintenir en prison et l’empêcher de se présenter devant l’Assemblée nationale. Pourquoi cet acharnement ? Toute l’instruction est truffée d’irrégularités (…) Nous avons quitté les rangs de la démocratie et de l’Etat de droit pour entrer dans une dictature impitoyable. »

En levant l’immunité de Khalifa Sall, l’Assemblée nationale ouvre ainsi la voie à un procès. Réunis dans un conseil de défense du député-maire, ses onze avocats ont décidé de faire appel de cette décision. « Nous allons nous réunir aujourd’hui afin d’établir notre éventail d’actions et lancer la procédure d’appel, explique Me Cheikh Khoureychi Ba, membre du conseil. Cette résolution sera attaquée en inconstitutionnalité devant le Conseil constitutionnel dès cette semaine. »

« Ce procès, nous en avons besoin »

Les avocats de la défense reprochent entre autres un certain nombre d’irrégularités, parmi lesquelles le viol supposé de l’article 51 de la loi organique qui réglemente l’Assemblée nationale et confère aux députés une immunité parlementaire. « Ils n’ont pas respecté le droit du député d’être entendu en séance plénière, la lettre de convocation ne présentait même pas de modalité d’audition, ni celui d’être assisté d’un défenseur », avance-t-il.

Khalifa Sall a longtemps été considéré comme le candidat d’opposition le plus crédible face au président Macky Sall. Mais un procès risquerait d’interférer avec la candidature potentielle du député-maire à la présidentielle de 2019.

Pour son conseil de défense, ces considérations sont encore lointaines. « L’instruction n’en est qu’à ses débuts, poursuit Me Khoureychi Ba. Et l’on voit qu’à vouloir avancer au pas de charge, elle marche sur les droits des citoyens. Notre agenda n’est pas celui de l’exécutif, mais s’ils veulent aller au procès, nous disons chiche ! Nous pourrons ainsi faire éclater l’innocence de Khalifa Sall. Ce procès, nous en avons besoin. La bataille ne fait que commencer. »