Nasser Al-Hariri, chef du Comité des négociations et membre de la Coalition nationale syrienne. / DENIS BALIBOUSE / REUTERS

C’est une opposition syrienne reformatée qui se présente au nouveau cycle des négociations de paix, ouvert mardi 28 novembre, sous l’égide des Nations unies, à Genève. En fin de semaine dernière, à Riyad, cent cinquante dissidents, représentant toutes les sensibilités de la nébuleuse anti-Assad, des plus intransigeants aux plus conciliants, ont formé une délégation unie de trente-six membres. Les plates-formes du Caire et de Moscou, deux formations très critiques de l’insurrection, qui faisaient jusque-là bande à part, ont été intégrées au nouvel organe, baptisé « Comité des négociations », qui remplace le Haut comité des négociations (HCN), établi en décembre 2015..

En sus de cet effort d’unification, la conférence de Riyad a débouché sur une déclaration finale qui a reformulé les exigences de l’opposition dans un sens un peu plus accommodant. Si l’appel au départ de Bachar Al-Assad y figure toujours, celui-ci n’est plus posé comme un impératif, mais comme un objectif général des négociations, qui doivent se tenir, selon le texte, sans condition préalable. Ce grand écart sémantique est destiné à rassurer les militants purs et durs de la révolution, tout en répondant aux exhortations de Staffan de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies sur la Syrie, qui avait appelé l’opposition à « être assez réaliste pour réaliser qu’elle n’a pas gagné la guerre ».

Les discussions portent sur les modalités de la transition politique censée mettre un terme au conflit. Deux sujets devraient être particulièrement débattus : le processus de révision de la Constitution et la tenue d’élections. Les trente-six membres du Comité des négociations auront fort à faire pour éviter que leur unité, laborieusement obtenue, ne vole en éclat au premier obstacle.

Revue de détail des différents courants de l’opposition :

  • La Coalition nationale syrienne (CNS)

Cette organisation, basée à Istanbul et dont les cadres vivent tous à l’étranger, dispose de huit sièges au sein du Comité des négociations. Formée fin 2012 au Qatar, elle amalgame des libéraux, comme Riyad Seif, son président actuel, et des islamistes, proches des Frères musulmans, comme Ahmed Ramadan. Elle se veut le relais, sur la scène diplomatique, des acteurs de la révolution, aussi bien les militants pacifiques que les combattants, qui se cramponnent à l’exigence du départ de Bachar Al-Assad, bien que cette hypothèse soit devenue irréaliste.

Longtemps parrains de la CNS, dont ils ont encouragé le jusqu’au-boutisme, les grands pays occidentaux et leur alliés arabes ont peu à peu pris leurs distances vis-à-vis d’elle, du fait de la résilience inattendue du régime syrien et de la montée en puissance des forces djihadistes au sein de la rébellion. Aujourd’hui la Coalition est la formation de l’opposition qui oppose la plus grande résistance aux pressions ouvertes ou implicites de la communauté internationale en faveur d’un maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad durant la phase de transition. A peine arrivé à Genève, le chef du Comité des négociations, Nasser Al-Hariri, qui est membre de la CNS, a ainsi réaffirmé que le président syrien devrait quitter le pouvoir en prélude à tout règlement du conflit.

  • Le Comité de coordination nationale pour le changement démocratique (CCNCD)

Cette organisation, basée à Damas, et dont les dirigeants vivent en Syrie ou bien à l’étranger, dispose de cinq sièges au sein du Comité des négociations. Fondée en 2011, dirigée par l’avocat damascène Hassan Abdel Azim, elle est composée d’une dizaine de petits partis, pour la plupart de gauche, souvent imprégnés d’idéologie nationaliste arabe.

D’abord partisane d’un dialogue avec le régime, la CCNCD s’est convertie à l’idée de son renversement, tout en restant farouchement hostile à la militarisation du soulèvement et aux interventions d’Etats étrangers dans le conflit. Les autorités syriennes, qui la tolèrent théoriquement, ont incarcéré plusieurs de ses membres, notamment Abdelaziz Al-Khayer, un vétéran de la dissidence syrienne. Longtemps en conflit avec la CNS, à qui elle reprochait d’être trop dépendant de ses parrains turc, arabes et occidentaux, cette organisation s’en est rapprochée après avoir intégré le HCN, en décembre 2015.

  • La plate-forme du Caire

Ce groupe formé en 2015, à l’instigation des autorités égyptiennes, dispose de quatre sièges au sein du Comité des négociations. Il rassemble une centaine d’opposants, d’inspiration laïque, très hostile à la militarisation et à l’islamisation de la rébellion. Ces dissidents prônent un règlement en douceur du conflit, qui n’exclue pas le départ de Bachar Al-Assad, mais n’en fait pas une revendication frontale, ni un préalable à l’ouverture de la transition politique, comme le fait la CNS. L’une des principales figures de la plate-forme du Caire est Jamal Suleiman, un ex-acteur de séries télévisées.

  • La plate-forme de Moscou

Ce groupe formé en 2015, sous la tutelle du Kremlin, dispose de quatre sièges au sein du Comité des négociations. Il est composé de figures proches du régime Assad, comme son chef, Qadri Jamil, un ancien vice-premier ministre, limogé en 2013, qui à l’époque où il était au pouvoir considérait les révolutionnaires comme des « agents de l’étranger ». Vus par leurs détracteurs comme de pseudo-opposants, cooptés par Damas, les membres de la plate-forme de Moscou refusent de discuter du sort à réserver à Bachar Al-Assad. Ils estiment que cette question ne pourra être tranchée que par des élections, à laquelle l’actuel président devra être autorisé à participer. Selon eux, la mise en avant de ce sujet est la garantie d’un échec des négociations.

  • Les autres composantes du Comité des négociations

En plus des organisations précitées, le Comité des négociations comprend des représentants de deux autres groupes : les brigades armées, qui disposent de sept sièges, et les indépendants, qui en ont obtenu huit. Les premiers sont proches des positions de la Coalition nationale syrienne. On trouve dans leurs rangs Mohamed Allouch, ex-chef de la délégation de l’opposition lors des négociations tenues en février-mars, qui est le conseiller politique de Jaysh Al-Islam, une formation armée salafiste, implantée dans la banlieue de Damas.

Parmi les Indépendants, on trouve des opposants de diverses obédiences. L’un d’eux, Khaled Al-Mahamid, un homme d’affaires impliqué dans la négociations de cessez-le-feu locaux, a fait scandale au mois d’août, en déclarant que le régime avait gagné la guerre et qu’il était temps pour l’opposition de changer d’approche.

Le mécanisme de prise de décision du Comité est relativement contraignant. Une majorité d’environ trois quarts des voix (72 % précisément) est requis sur tous les sujets importants. Ce qui place la minorité de blocage à dix ou onze voix. Il suffira, autrement dit, que les représentants des groupes du Caire et de Moscou s’allient avec deux ou trois autres membres du Comité des négociations pour qu’ils paralysent toute décision.