Le producteur Harvey Weinstein, le 10 juillet 2017, dans le quartier de Soho, à New York. / RAYMOND HALL/GC IMAGES

Présenter des excuses n’est pas vraiment dans la culture de l’entreprise. Black Cube est une société de renseignement et de conseil qui cultive l’opacité. Pourtant, l’un de ses clients récents l’a forcée à un acte de contrition public. Il s’agit du producteur Harvey Weinstein, dont les agissements ont déclenché un débat mondial sur les agressions sexuelles. Comme l’a révélé le New Yorker le 6 novembre, celui-ci a engagé la firme israélienne à l’automne 2016 afin de monter des dossiers sur des dizaines de victimes susceptibles de porter plainte et de s’exprimer dans les médias. Il a aussi fait appel aux services de la société américaine Kroll.

L’économiste Asher Tishler, qui siège au conseil d’administration de Black Cube – mais qui n’est pas un employé –, a estimé que, « rétrospectivement, il est dommage que nous ayons accepté ce travail ». Dans un communiqué, la compagnie a promis de verser l’intégralité de ses revenus dans cette affaire – soit 1,3 million de dollars – au profit d’organisations venant en aide aux victimes de harcèlement sexuel, dans plusieurs pays.

Informations compromettantes et intimidations

Selon le New Yorker, les méthodes utilisées dans ce dossier par Black Cube consistaient à créer de fausses identités sur Internet ou à payer une somme rondelette pendant plusieurs mois à un journaliste de la presse à scandale chargé d’interviewer des victimes. L’objectif était de dissuader ces dernières de parler en récoltant des informations compromettantes et en tentant de les intimider. Deux enquêteurs privés ont ainsi rencontré, sous des identités falsifiées, l’actrice Rose McGowan, qui finira tout de même par porter plainte pour viol contre Harvey Weinstein. Parmi eux, « Anna », surnom d’une ancienne officière de l’armée de l’air israélienne d’origine yougoslave, Stella Penn Pechanac, dont l’identité a été révélée par le Daily Mail.

L’article du New Yorker citait avec précision les contrats signés entre Black Cube et Harvey Weinstein, qui s’est rapproché de la firme sur les conseils de l’ancien premier ministre israélien Ehoud Barak. On y découvre une profusion d’informations puisées aux meilleures sources, qui font dire à certains experts israéliens que la société aurait pu elle-même les faire fuiter, en constatant la déchéance irrémédiable de son client. Impossible de l’affirmer. Il est vrai que, derrière les excuses publiques et le scandale, Black Cube bénéficie dans ces circonstances d’une exceptionnelle publicité auprès de ses clients potentiels, qui découvrent le profil de ses effectifs, sa détermination et ses méthodes.

La firme bénéficie de la mansuétude d’Israël

En Israël, la firme profite de la mansuétude des pouvoirs publics, même si la justice a déjà, dans le passé, mis en cause ses méthodes d’espionnage. Black Cube a été fondée en 2011 par un ancien officier du renseignement militaire, Dan Zorella, et Avi Yanus, docteur en philosophie de l’université de Tel-Aviv. L’ancien chef du Mossad, Meir Dagan, fut président d’honneur de la société jusqu’à son décès, en mars 2016. Black Cube se présente comme « un groupe sélect de vétérans d’unités d’élite du renseignement israélien qui fournit des solutions sur mesure à des problèmes complexes de contentieux civil et commercial ».

La firme dit employer environ une centaine de personnes – avocats, experts, analystes – en plus de consultants ponctuels, en fonction des dossiers. Elle dispose à la fois de spécialistes des nouvelles technologies, secteur de prédilection de l’armée israélienne, et d’agents de terrain. Sur son site Internet, elle présente de façon vague, sans dates ni noms, certains dossiers qu’elle a eus à traiter. On note surtout le caractère international de ses activités, au service de corporations privées comme d’institutions publiques.

Impliquée dans des affaires délicates

Dans une longue enquête sur Black Cube, publiée en avril, le journal israélien Globes évoquait plusieurs affaires délicates dans lesquelles la firme a été impliquée. Son premier dossier majeur fut celui du milliardaire Vincent Tchenguiz, dont la maison avait été perquisitionnée en mars 2011 par les agents du British Serious Fraud Office (SFO). Avec son frère Robert, l’homme d’affaires était soupçonné d’implication dans l’effondrement de la banque islandaise Kaupthing. Il engagea Black Cube pour prouver son innocence et obtint des excuses et un dédommagement. Ce dossier fortement médiatisé assura à la firme israélienne une publicité de choix.

L’une des méthodes les plus communes employées par Black Cube consiste à faire passer ses agents pour des hommes d’affaires, notamment lors de prises de contact à l’étranger. La firme s’adapte au contexte et aux lois locales, prenant ses aises lorsqu’elles sont floues. Deux de ses employés ont été arrêtés en 2016 en Roumanie. La cible de leurs investigations était la procureure de la direction de lutte contre la corruption et le crime organisé. Ils cherchaient des éléments compromettants dans ses biens personnels et ceux de son entourage, et n’ont pas hésité à pirater son ordinateur. Black Cube a expliqué que ses agents avaient travaillé dans le cadre d’un projet étatique. « Il n’y a aucun doute que Black Cube a agi en Roumanie en accord avec la loi et avec l’autorisation et la permission des plus hauts échelons possibles », dit un communiqué de l’époque. La procureure, elle, a évoqué une « tentative infructueuse pour l’intimider ». Les deux employés ont plaidé coupables et ont pu regagner Israël après leur condamnation.