Horst Seehofer, le chef de la CSU, et la chancelière allemande, Angela Merkel, à Berlin, le 20 novembre. / HANNIBAL HANSCHKE/REUTERS

Correspondant du Monde à Berlin, Thomas Wieder a répondu aux questions des internautes à la suite des tensions suscitées en Allemagne par la réautorisation du glyphosate au sein de l’UE, contre l’avis de la chancelière et du SPD, sur le point de discuter d’une nouvelle grande coalition.

Yoyo : Le vote de l’Allemagne a-t-il vraiment été décisif dans le résultat ? Si le pays avait dit non, l’autorisation du glyphosate n’aurait pas été renouvelée ?

Oui, il fallait la majorité qualifiée, c’est-à-dire que les Etats votant pour le renouvellement de la licence du glyphosate rassemblent plus de 65 % de la population de l’Union européenne. Lors du précédent vote, le 9 novembre, ce seuil n’avait pas été atteint. Lundi, il a été tout juste dépassé (65,71 %), et cela grâce au revirement de la Pologne et surtout de l’Allemagne (16,06 % de la population européenne), qui, la dernière fois, s’étaient abstenues.

Hallo : Comment expliquer que le ministre de l’agriculture ait agi en solo ? C’est extrêmement grave !

Christian Schmidt, le ministre de l’agriculture, membre de la CSU bavaroise, mûrissait cette décision depuis plusieurs mois. Hier, la Süddeutsche Zeitun, associée à deux médias audiovisuels, a révélé que ses services avaient été sollicités dès le 7 juillet en ce sens, pour savoir s’il lui serait juridiquement possible d’engager l’Allemagne sans avoir l’accord préalable de sa collègue chargée de l’environnement, sachant que celle-ci, la social-démocrate Barbara Hendricks, était contre. Les services lui auraient suggéré de solliciter directement la chancelière, en rappelant dans leur réponse une prise de position de celle-ci datant du mois de juin, au congrès des agriculteurs allemands, en faveur du glyphosate.

Il semblerait, c’est en tout cas ce qu’il a dit hier et ce que n’a pas démenti Mme Merkel, qu’il ait pris lui-même l’initiative de voter pour la réautorisation du glyphosate sans l’aval de celle-ci ni, a fortiori, celui de Mme Hendricks. Il semblerait en revanche que le chef de la CSU, Horst Seehofer, ait été informé en amont de cette décision, qu’il a d’ailleurs publiquement approuvée, mardi.

Tommes_G : Est-ce qu’il y a, derrière cette décision d’un ministre CSU une volonté de provocation afin de rendre impossible une future grande coalition ?

Une provocation, certainement. Mais, comme souvent sinon toujours avec les conservateurs bavarois, c’est une provocation maîtrisée. La CSU a sans doute agi dans son propre intérêt, car elle a besoin de donner des gages à ses électeurs qui, depuis quatre ans, lui reprochent de trop céder aux exigences d’Angela Merkel et de ses alliés sociaux-démocrates au gouvernement.

Au moment d’engager des pourparlers en vue d’une nouvelle coalition, la CSU a donc tout intérêt à montrer ses muscles. Cette posture sert aussi les intérêts du chef de la CSU, Horst Seehofer, qui est par ailleurs ministre-président du Land de Bavière et qui fait face à une fronde en interne. En appuyant lui-même la décision unilatérale du ministre de l’agriculture, M. Seehofer peut espérer calmer ces « frondeurs ».

Mais la CSU ne souhaite pas l’échec des pourparlers avec le SPD. M. Seehofer l’a dit, dans une interview à Bild, dimanche 26 novembre : « La grande coalition est la meilleure option pour l’Allemagne. » Il veut simplement que cette option ne se fasse pas au détriment des conservateurs.

Clément : Est-il envisageable qu’Angela Merkel prenne le même type de décision qu’Emmanuel Macron, une sortie du glyphosate sur trois ans ?

Pour l’instant, on ne sait pas, mais ce matin, le ministre de l’agriculture, Christian Schmidt (CSU), qui a décidé de son propre chef que l’Allemagne voterait à Bruxelles pour la réautorisation du glyphosate, a déclaré qu’il allait prendre contact avec sa collègue de l’environnement, Barbara Hendricks (SPD), afin que leurs services travaillent ensemble pour étudier une éventuelle réduction de l’utilisation du glyphosate dans le pays.

De son côté, Gita Connemann, vice-présidente du groupe CDU-CSU au Bundestag et spécialiste des questions agricoles, a déclaré que son parti était favorable à une interdiction de l’usage privé du glyphosate. Quoi qu’il en soit, le sujet va maintenant être au cœur des pourparlers qui vont s’ouvrir entre les conservateurs et les sociaux-démocrates en vue de la formation du prochain gouvernement.

jimbee : La prochaine acquisition de Monsanto par Bayer ainsi que la fin des tractations associant les Verts en vue de former le prochain gouvernement ont-elles provoqué ce vote « en faveur » du glyphosate ?

En tout cas, il est clair que cela sert les intérêts du groupe Bayer, qui s’est porté acquéreur de Monsanto, le grand producteur mondial de glyphosate. Par ailleurs, oui, on peut penser qu’une telle décision aurait provoqué une rupture des négociations avec les Verts, alors qu’avec le SPD, elle les complique mais sans que le point de non-retour soit forcément atteint.

De ce point de vue, il était intéressant de voir, mardi, la position alambiquée de Barbara Hendricks sur son collègue Christian Schmidt. Tout en disant que son comportement était inadmissible, elle a pris soin de préciser qu’elle n’exigeait pas son départ du gouvernement, contrairement aux Verts. Il ne faut pas sous-estimer le jeu de posture qu’il y a dans cette affaire, tant du côté des conservateurs que des sociaux-démocrates.

Don Lope : Avec le vote d’un ministre CSU, appuyé par son camp, pour le glyphosate, la déjà très restreinte marge de négociation entre Angela Merkel et le SPD pour constituer un gouvernement n’a-t-elle pas volé en éclats ?

Il est certain qu’Angela Merkel est en position de faiblesse pour négocier. Il est normal, avant des pourparlers en vue de former une coalition, que les partenaires prennent leurs marques et fassent monter les enchères, mais dans le contexte actuel, cela prend une dimension particulière, le SPD étant incité, à la fois par la faiblesse de Mme Merkel et par son propre besoin de justifier son changement de pied sur la participation à une coalition, de mettre la barre assez haut. L’une des dirigeantes du parti l’a dit, ce week-end, sans ambages : « Dans l’état actuel des choses, Mme Merkel n’est pas en situation de nous imposer ses conditions. »

Toute la difficulté, pour la chancelière, va être de donner assez de gages au SPD pour qu’il entre au gouvernement avec un « contrat de coalition » acceptable par ses troupes, tout en défendant suffisamment les intérêts de sa propre famille politique, afin d’éviter une fronde en interne. Cela va être l’enjeu des prochaines semaines.