Le président Macron ? « Il a trop baillé sur nous ! », lâche Abou, étudiant en licence de géographie à l’université de Ouagadougou. Baillé ? « C’est du nouchi, de l’argot quoi. Ça veut dire qu’il a trop parlé », explique un autre étudiant, sac à dos sur l’épaule. « Comme Macron a parlé d’adapter la langue française, et ben voilà ! », s’amuse-t-il devant une quinzaine de ses camarades, hilares.

Ce mercredi 29 novembre, devant l’amphithéâtre où M. Macron a prononcé, la veille, son discours à la jeunesse africaine, le débat fait rage. C’est vrai, le discours du président français était long, tous en conviennent. « Mais quand même, il a bien causé », ajoute Abou. Autour de lui, les étudiants acquiescent. Tous saluent la levée du secret-défense sur les documents relatifs à l’assassinat de Thomas Sankara, leur héros. « Il est fort ! », lance un autre, impressionné par les qualités d’orateur du président français.

A trois reprises, M. Macron a, selon eux, eu le « courage » de renvoyer le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, à ses responsabilités concernant des sujets qui relèvent « du président du Faso et pas du président francais ».

« Ce qu’il a dit à propos du franc CFA, que c’est à nous de choisir, j’ai apprécié. Je pensais que c’était la France qui choisissait cela, explique Bamboda Tankoano, étudiant en sociologie. Il a aussi dit qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. C’est un discours agréable à entendre. » « Il a réussi à montrer un autre visage de la France », admet un camarade à sa gauche.

« Macron a été malin en jouant sur sa jeunesse »

Face à lui, Abou affiche un regard gêné. Lui qui, quelques minutes auparavant, admettait que le président Macron avait bien parlé, tient à préciser : « Citer Sankara, c’est bien. Il a eu des beaux propos et son discours nous a touchés. Il nous a fait rêver, mais on se méfie. Il faut que nous restions sur nos gardes, recommande-t-il à ses camarades. Il y a eu une prise de conscience chez nous, les étudiants burkinabés. La mentalité de la jeunesse a évolué. On nous a promis trop de choses auparavant. Nous sommes désenchantés par toutes ces promesses, il faut que les paroles soient suivies d’actes ! »

Autour d’Abou, le cercle s’élargit. D’autres étudiants viennent s’agglutiner devant l’amphithéâtre. Le cours de géographie qui doit avoir lieu peut attendre. Ici, c’est la culture du débat d’abord. « De toute façon, on va mettre quatre ans, voir six, à finir notre licence, à cause des années blanches », ironise Ali Kaboré, déçu que le président français, tout comme les étudiants sélectionnés pour la séance de questions-réponses, n’ait pas suffisamment abordé les « réalités des étudiants, la vie du campus ».

« De toute façon, ce qu’il a dit, ce n’est pas vrai, tranche Fousseini Sourabié. Macron a été malin en jouant sur sa jeunesse, en parlant de génération. Il a étudié notre comportement et il a compris que la jeunesse burkinabée avait certaines attentes depuis l’insurrection. Mais c’est du populisme ! Il a tenu son discours pour se faire applaudir, alors que dans le fond ça ne tient pas. » Pour l’apprenti géographe, un brin irrité de ne pas avoir été sélectionné pour assister au discours, « ce sont ceux qui n’ont pas de maturité politique que le président Macron a pu retourner ! La Françafrique, ça ne peut pas se terminer comme ça ! »

« Les questions étaient insensées »

Jeu d’influences oblige, Fousseini Sourabié recueille l’approbation de ses pairs. Les discussions vont bon train. « Macron n’est peut-être là que pour cinq ans. Je me demande quelle sera la suite, même si c’est vrai qu’il y a le principe de continuité de l’administration », hésite Salif Koadima. L’étudiant est inquiet d’avoir entendu un Emmanuel Macron « trop parler en son nom, et pas assez au nom de la France, alors qu’il est venu au nom de son pays ». « Sur la forme c’était bien, sur le fond, on attend de voir du concret pour croire », conclut-il.

Mais au lendemain de ce discours, ce qui ressort le plus des conversations entendues dans les allées de l’université, ce n’est pas le fond, ni la forme. Mais bien la séance de questions-réponses. « Les questions posées par nos camarades étaient pour beaucoup insensées, incohérentes, s’alarme un Ouagalais. Les étudiants des autres pays, ils vont dire qu’il n’y a pas de bons étudiants à Ouagadougou. Ils vont nous insulter ! »

Georges Zoungrana est d’accord sur ce point. « Ils ne parlent que de cela depuis ce matin. Il est vrai qu’il y a des questions dont on aurait pu faire l’économie et des gens qui ont manqué une occasion de se taire », explique-t-il avec diplomatie. A l’université, Georges Zoungrana voit tout et entend tout. « Sociologue consultant pour des ONG » et gérant du parking moto de l’amphithéâtre, il livre son analyse du discours de M. Macron : « J’ai bien aimé l’accessibilité de son discours. Nous ne manions pas la langue de Molière comme les Français… Enrober tout ça de termes diplomatiques, ç’aurait été compliqué. Il a parlé terre à terre, pour que tout le monde comprenne ! Et puis, il a été plus diplomate que François Hollande. Mais tout en restant très direct. Je préfère ça, car quand on caresse les gens dans le sens du poil, sans oser leur dire la vérité en face, ca ne permet pas d’avancer. » Il range une moto puis revient : « Comme on dit chez nous les Mossi, la vérité rougit l’œil mais ne le crève pas. Macron a eu raison de dire que c’est à nous de décider. Car si dans ta cour, tu ne peux pas instaurer ton propre règlement intérieur, c’est quand même problématique. »

Discours de Macron au Burkina Faso : la rupture dans la continuité
Durée : 03:19

Et la blague d’Emmanuel Macron sur Roch Marc Christian Kaboré « parti réparer la climatisation » qui a enflammé les réseaux sociaux ? Les étudiants ne l’ont même pas mentionnée. Un « non-sujet » semble-t-il, comme l’a qualifié l’entourage du président burkinabé.