C’est un point de vue dont le gouvernement se serait bien passé. L’avis du Conseil d’Etat sur le projet de loi droit à l’erreur, présenté comme un marqueur fort de la présidence Macron, n’est pas tendre avec ce texte qui vise à fluidifier les relations entre l’administration et les particuliers ou les entreprises.

Publié lundi 27 novembre, quelques heures après la présentation en conseil des ministres du projet de loi « pour un Etat au service d’une société de confiance », l’avis, uniquement consultatif, critique le texte sur de nombreux points, aussi bien de fond que de forme.

« Ce projet de loi comportant, pour une large part, des dispositions qui tendent à modifier des règles de procédure appliquées par de très nombreuses administrations, la pertinence des solutions proposées et les conséquences qui en résulteront doivent être analysées avec une attention particulière », souligne l’avis, qui déplore le caractère « lacunaire ou insuffisant » des études d’impact successives menées par l’exécutif. « Il incombe au gouvernement d’améliorer encore [ces études] avant le dépôt du projet de loi au Parlement », estime le Conseil. L’examen du texte par les députés doit avoir lieu en janvier 2018.

Inquiétude sur la faisabilité

Sur le droit à l’erreur, point central du texte, qui dispense un usager de sanction s’il méconnaît de bonne foi une règle administrative, ou se signale de lui-même, les membres du Palais-Royal jugent le projet de loi trop « général ». Ils auraient souhaité que le législateur « identifi(e), comme c’est déjà le cas en matière fiscale, des procédures dans lesquelles une invitation à régulariser avant sanction devrait être créée ».

L’autre point majeur, le droit au contrôle, est également critiqué. Là aussi actionnable par tout usager, il vise certes à « privilégier le dialogue et le conseil au détriment du contrôle et de la sanction », reconnaît le Conseil d’Etat, qui fustige cependant la mise en place d’« une procédure supplémentaire, sans simplifier les normes et les procédures existantes ». Et surtout, s’inquiète de la faisabilité pratique de cette mesure, alors que « les moyens des services de l’Etat ont souvent été fortement réduits et ne lui permettent pas toujours d’assumer ses missions premières ».

Par ailleurs, le Conseil d’Etat met l’exécutif en garde contre les implications du projet de loi. Ainsi, il juge « nécessaire de préciser que les différentes collectivités publiques, notamment locales, concourent à la mise en œuvre de [la] stratégie nationale » de refonte de l’action publique.

Le projet de loi prévoit aussi de nombreuses expérimentations, dans certaines régions ou départements, pour alléger les démarches administratives (mise en place d’un interlocuteur unique en matière d’emploi ou de prestations familiales, horaires aménagés en fonction des contraintes des usagers, délivrance de papiers d’identité sans demander de justificatif de domicile…).

Là encore, le Conseil se veut circonspect. En vertu du principe d’égalité devant la loi, ces expérimentations doivent avoir « un objet limité et une durée (…) strictement nécessaire » et « l’objet de ces expérimentations ne peut (…) consister en la création de dispositifs dérogatoires permanents ou de très longue durée », avertit le Conseil d’Etat.

Changer l’état d’esprit

Ces nombreuses réserves tendent à confirmer les fragilités d’un texte à la fois ambitieux et hétéroclite, qui repose largement sur la notion de « bonne foi », et dont seule la mise en pratique effective permettra de dire s’il fera date ou non.

Il vise rien moins qu’à changer l’état d’esprit et la manière de travailler de l’administration, un mouvement déjà initié avec plus ou moins de réussite lors des précédents quinquennats (« choc de simplification » de François Hollande…). Sa gestation s’était faite dans la douleur : promesse de campagne d’Emmanuel Macron, le « droit à l’erreur » avait été retoqué en août par le président lui-même, qui trouvait la première mouture trop fourre-tout.

« Une fois notre avis publié, c’est à l’Etat de tenir compte ou pas de nos remarques pour modifier le cas échéant son projet de loi », explique-t-on au Conseil d’Etat.