« Coco », film d’animation de Lee Unkirch et Adrian Molina. / PIXAR / AP

LES CHOIX DE LA MATINALE

Des retrouvailles familiales dans « La Villa » de Robert Guédiguian ; la parole de pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques face à celle de juges dans un documentaire de Raymond Depardon ; les aventures d’un jeune garçon mexicain dans le dernier Pixar et le festival du cinéma européen d’Arte. Voici notre sélection cinéma hebdomadaire.

RETROUVAILLES AU BORD DE L’ABÎME : « La Villa », de Robert Guédiguian

LA VILLA Bande Annonce (2017)
Durée : 01:58

Au début, il y a la fin. Un vieil homme songeur, accoudé à la terrasse d’une maison dominant la calanque. Le temps de regarder, une dernière fois en conscience, la beauté familière du site, les maisons modestes et multicolores, le viaduc en surplomb, la mer scintillante à l’horizon. Puis dire « tant pis » et s’écrouler. L’histoire peut commencer. Avec, en sourdine, la litanie de questions chères à Robert Guédiguian : comment rester fidèle à l’héritage de lutte et à l’idéal de justice qu’incarnait cet homme ? Comment ne pas les trahir dans la jungle renouvelée et triomphante de l’économie libérale ?

Ce vingtième long-métrage – à l’instar de Marius et Jeannette (1997) – occupe dans la partition de son œuvre un sommet. Sommet, tout à la fois de noirceur, de lyrisme, d’économie de moyens. Tout se joue ici, en effet, dans le périmètre réduit de l’anse maritime sur laquelle se couche désormais le soleil pâle et hivernal d’une inexorable fin du monde.

C’est ici que se retrouvent, pour le veiller, les trois enfants de l’homme victime d’une attaque, cloué au lit dans le silence de sa fin annoncée. Fratrie éparpillée, dont la réunion tardive fait ressurgir les tendres liens mais aussi les cruels fantômes du passé. Suspendu au bord du vide, leur père devient l’énigme incarnée du sentiment de la finitude, posée avec les yeux vides du cadavre imminent qui a pris sa place.

C’est ce spectre familier qui, questionne sans mot dire ses enfants sur le continent enfoui de leur enfance, sur le sens qu’ils ont donné à leur propre vie. La délicatesse et la complexité d’approche dont fait preuve le cinéaste nous évitent l’accablement du jeu de massacre. Et la magie de son cinéma opère, qui remet sur le métier depuis trente ans les mêmes acteurs, mais que l’œuvre ressaisit dans la durée, feuilletonnant leur présence comme une fiction toujours disponible, qui n’est autre que celle de la communauté qu’ils ont fini par former avec les spectateurs. Jacques Mandelbaum

« La Villa », film français de Robert Guédiguian. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin (1 h 47).

DÉLITS FLAGRANTS : « 12 jours », de Raymond Depardon

“12 jours”, de Raymond Depardon - bande-annonce
Durée : 01:56

Après Les Habitants (2016), qui partait sur les routes à la rencontre des Français, le photographe et cinéaste Raymond Depardon, 75 ans, revient sur les écrans avec un très beau film, au sujet d’un récent dispositif légal concernant les pensionnaires des hôpitaux psychiatriques. Depuis 2013, les établissements disposent de douze jours pour présenter les patients internés sous contrainte à un juge des libertés et de la détention, qui doit statuer sur le prolongement de leur internement ou leur remise en liberté.

Cette décision est prise dans le cadre d’une audience entre juge et patient, ce dernier étant accompagné d’un avocat et pouvant ensuite se pourvoir en appel. Ce sont ces entretiens que Depardon a obtenu l’autorisation de filmer, à l’hôpital du Vinatier de Lyon, où se succèdent, devant sa caméra, une dizaine de cas (parmi les 72 que le cinéaste a pu suivre). Dix personnes en situation de grande fragilité, souffrant de dépression, de pulsions suicidaires, de dissociation ou de schizophrénie paranoïde, et dont la réunion au sein du film offre une chambre d’écho saisissante aux détresses contemporaines.

Le film s’inscrit dans une veine particulière de la filmographie de Depardon, qu’on pourrait appeler celle de la « comparution ». Déjà, dans Délits flagrants (1994), des déférés comparaissaient devant le substitut du procureur, au Palais de justice de Paris, puis dix ans plus tard, dans 10e chambre, instants d’audience (2004), des prévenus devant le tribunal correctionnel.

Dans le cas de 12 jours, la parole des patients est bien sûr altérée par leur maladie, rendue confuse, parfois obscure. D’un côté ou de l’autre, la langue n’est pas la même : fragile, accidentée ou engourdie pour les uns, d’une rhétorique bien rodée et d’un registre soutenu pour les autres. Or le dispositif n’est si rigoureusement cadré que pour laisser advenir quelque chose d’incontrôlable : les surgissements ou les fulgurances du discours aliéné, par nature imprévisible, aux vérités toujours troublantes. Mathieu Macheret

« 12 jours », documentaire français de Raymond Depardon (1 h 27).

BAROCOCO : « Coco », de Lee Unkirch et Adrian Molina

Coco - Bande-annonce officielle
Durée : 02:42

Deux ans après le vertige cognitif de Vice-Versa (2015) et en attendant Les Indestructibles 2 et Toy Story 4, prévus respectivement pour 2018 et 2019, les studios Pixar poursuivent leur rêve d’une réinvention permanente du cinéma d’animation mêlant expérimentations visuelles et vertiges narratifs d’une puissance émotionnelle rarement égalée.

Coco se distingue par la mise en scène d’une féerie morbide, parfait alliage de la signature Pixar et de la recette Disney. Le film suit les aventures d’un jeune garçon mexicain prénommé Miguel, dont le rêve ultime est de devenir musicien. Mais l’enfant est né dans une ­famille où la musique est bannie depuis qu’un ancêtre a aban­donné femme et enfant pour se consacrer entièrement à sa carrière musicale. D’un tempérament obstiné, Miguel est pourtant résolu à prouver son talent le soir de la Fête des revenants.

Ce récit aussi élaboré que labyrinthique rassemble toutes les humeurs et les motifs pixariens. Mais, sous ses atours carnavalesques et la figuration du monde des morts en univers splendide et chatoyant, se dissimule un long voyage vers la mélancolie. Le folklore mexicain devient le moyen d’invoquer les disparus apparaissant sous la forme de squelettes parés de détails et d’accessoires qui les caractérisaient dans le monde des vivants. Murielle Joudet

« Coco », film d’animation américain de Lee Unkrich et Adrian Molina (1 h 40).

VIVE L’EUROPE : Arte Kino, le festival du cinéma européen d’Arte

Frost - Bande annonce - ARTE Cinéma
Durée : 02:24

Lancé en 2016 pour proposer de découvrir en ligne sélection de films de jeunes auteurs européens, le festival de cinéma européen d’Arte agrandit son spectre. Du 1er au 17 décembre, sa deuxième édition se tiendra comme la précédente sur le site de la manifestation où seront montrés dix films inédits en salles, dont la plupart ont été présentés ces derniers mois dans de grands festivals. Sous-titrés en quatre langues ils seront visibles dans 45 pays. Nouveauté cette année, ils vont également être montrés sur grand écran dans des salles partenaires à travers l’Europe (plusieurs en France, dont la Cinémathèque française, mais aussi à Londres, Madrid, Bucarest, Sarajevo et Berlin).

Au programme, un vaste spectre qui va de l’élégiaque Frost, du Lituanien Sharunas Bartas, qui reçut en mai, lors de sa présentation à la Quinzaine des réalisateurs, un accueil très chaleureux, au bizarroïde The Giant, du Suédois Johannes Nyholm, l’histoire d’un trentenaire autiste, physiquement défiguré, et fondu de pétanque, qui cherche à retrouver sa mère. Isabelle Regnier

Sur Internet : Artekinofestival.com