« La voix de la haine au cœur de l’Amérique » est le titre d’un article du New York Times, paru le 25 novembre. Il s’agit d’un portrait de Tony Hovater, 29 ans, un néonazi « normal », selon le quotidien américain. Un de ces électeurs « invisibles » de Trump, profil typique de la classe moyenne que la presse a si longuement décrite après l’élection : ceux qui pensent que les médias sont biaisés, que la discrimination positive est une injustice et que le gouvernement fédéral a trop de pouvoir.

Mais cet homme si « normal » est aussi l’un des fondateurs du Traditionalist Worker Party, un groupuscule d’extrême droite ayant participé aux manifestations à Charlottesville en août. Tony Hovater pense que les races devraient vivre séparées, que le nombre de victimes de l’Holocauste (6 millions) a été « gonflé », et qu’Hitler était « plus détendu » qu’Himmler sur le projet d’extermination des Juifs d’Europe.

Eclairer les zones d’ombre de l’extrémisme

L’article décrit son quotidien familial dans l’Ohio, lui donne longuement la parole sans jamais fermement condamner ses propos. Il parle de sa liste de mariage, de son chat, de sa bibliothèque dans laquelle on trouve « des livres d’histoire sur Hitler et Mussolini ».

Ce parti pris d’une neutralité extrême, ainsi que le ton utilisé, a été reproché au journal, accusé d’avoir « normalisé » un sujet qui ne le mérite pas. Ce qui a conduit le New York Times à réagir : « Nos lecteurs nous accusent de normaliser le nazisme, nous répondons. »

« L’objectif de cet article n’était pas de normaliser qui que ce soit mais de montrer à quel point la haine et l’extrémisme sont devenus bien plus banals dans la vie quotidienne des Américains que nous ne voulons bien le penser. (…) Nous reconnaissons que les gens peuvent être en désaccord sur la meilleure manière de raconter une histoire désagréable. Ce que nous croyons indiscutable, en revanche, c’est le besoin d’éclairer, et non d’assombrir encore plus, les zones d’ombre de l’extrémisme en Amérique, et les gens qui y vivent. »

Richard Fausset, l’auteur de l’article, reconnaît qu’il y a pourtant « un trou au cœur de [son] histoire ». Malgré tout le temps passé avec son sujet, il n’a pas réussi à découvrir ce qui a fait qu’un jeune homme « intelligent, social, de la classe moyenne », puisse « basculer vers les extrêmes du discours politique américain ».

Société structurée par le racisme

Cet article d’explications – plus que d’excuses – est rare de la part du journal et montre que le retour de bâton était assez conséquent. C’est devenu un nouvel élément dans un débat médiatique qui a lieu depuis plus d’un an : comment couvrir l’extrême droite.

Dans le Washington Post, le politologue Jasmin Mujanovic y voit l’exemple typique d’un journalisme « élitiste » présentant la violence d’extrême droite comme « une voix comme une autre dans le débat public ».

« Peut-être que les employés du “New York Times” vivent dans une bulle, et qu’ils pensent (à raison) que, quand cette violence explosera, elle ne sera pas dirigée contre des gens comme eux : riches, blancs et mobiles (…) Il n’y a, décidément, rien de nouveau ou d’unique dans la vie banlieusarde de Tony Hovater. C’est un monstre ordinaire, mais les monstres de ce genre ont toujours été ordinaires. »

Jamelle Bouie, dans Slate, pense que l’article rate son sujet en présentant Hovater comme une exception alors que la « société est structurée par le racisme ». Il prend l’exemple du racisme communautaire décrit dans Sundown Towns de l’historien James W. Loewen. Dans des Etats maillés de « petites villes » comme l’Ohio, celles-ci se sont organisées pour être « réservées aux Blancs » à la fin du XIXe siècle. « Le racisme virulent ne fait pas qu’exister dans des environnements banals. Il a aussi conditionné jusqu’à leur existence », conclut-il.