Depuis quatre, cinq ans, on assite à un engouement des collectivités locales pour la création de sociétés d’économie mixte (SEM) de production d’énergies renouvelables. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

Au sein de la communauté de communes de la Haute Lande (7 communes, 6 000 habitants), le déclic s’est produit au lendemain de la tempête Klaus. Les élus de ce territoire, dévasté par cette violente dépression qui s’est abattue en janvier 2009 sur le Sud-Ouest, ont alors vu arriver des fonds d’investissement leur proposant d’exploiter leurs ressources naturelles pour produire de l’énergie.

« Cela nous aurait certes rapporté des taxes. Mais pour nous, il n’était pas question que des opérateurs exogènes gèrent les ressources énergétiques de notre territoire. Nous tenons à en garder la maîtrise, explique Patrick Sabin, maire d’Escource et vice-président de cette communauté de communes chargée de l’environnement. En contraintes budgétaires fortes, créer une SEM s’est révélé être le meilleur moyen de matérialiser notre ambition. » En mars 2015, la société d’économie mixte Territoire à énergie positive ou SEM Tepos de la Haute Lande voyait ainsi le jour.

Depuis quatre, cinq ans, on assiste à un engouement pour la création de SEM de production d’énergies renouvelables, à l’initiative d’intercommunalités ou de syndicats d’énergies, ces structures départementales chargées de la distribution d’électricité. Avec la transition énergétique, cette forme d’entreprise publique locale des plus anciennes connaît un regain d’intérêt.

« Sur fond de libéralisation du marché de l’électricité, les collectivités, conduites à adopter depuis la loi Grenelle 2 de 2010 un plan climat énergie territorial [rebaptisé plan climat-air-énergie depuis 2016], se posent de plus en plus de questions sur la façon d’atteindre les objectifs qu’elles se sont fixés et dès lors sur les moyens de produire elles-mêmes leur électricité verte, observe Marie Dégremont de France Stratégie, chargée de la transition énergétique. Reposant sur un partenariat public privé, une SEM est pour elles un moyen d’agir directement tout en partageant le risque, sans attendre que quelqu’un se présente pour le faire à leur place. »

Partager le risque

Cette forme de partenariat-actionnariat public-privé permet en effet à une collectivité, tout en étant actionnaire majoritaire, d’externaliser une part du risque, grâce à l’apport financier du privé, et de bénéficier des compétences de son ou ses partenaires. Et le financement des opérations que la SEM engage peut être complété non seulement par des emprunts mais aussi, et surtout, par du « crowfunding ». Surtout, car faire intervenir l’épargne des citoyens est une préoccupation forte de nombreuses SEM spécialisées dans la transition énergétique.

« Permettre aux citoyens d’être acteur, et non simple spectateur est un vecteur essentiel d’ancrage local, souligne Emmanuel Julien, président du directoire de Sergies, première SEM dédiée au développement durable en France, créée en 2001 par la volonté des 225 communes du Syndicat Energies Vienne. Nous ouvrons pour cela chaque projet de taille significative, à du financement participatif, afin de les associer et de leur faire bénéficier des retombées économiques. » Par exemple, pour le projet éolien de Rochereau, 250 000 euros ont été collectés auprès des particuliers, soit en moyenne 200 euros par personne. « Une somme non négligeable », relève Emmanuel Julien. Et ce prêt des citoyens est rémunéré à 4 % dès lors qu’ils maintiennent leur participation pendant cinq ans.

Pour une acceptation des projets par les citoyens

La participation citoyenne passe par la mise en place d’une plate-forme de financement participatif, ou par l’attribution d’une part de l’actionnariat du projet aux citoyens, regroupés en association ou en société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour éviter d’avoir une multitude de microactionnaires. « Il est essentiel d’arriver à impliquer la population, en particulier sur l’éolien, pour qu’il y ait une acceptation totale », appuie Alain Leboeuf, président de Vendée Energie. Cette SEM, créée en 2012 par le Syndicat départemental d’énergie et d’équipement de la Vendée, s’est fixé l’objectif d’atteindre, sur chaque projet, 20 % de financement participatif.

Intervenant sur un territoire plus restreint, la communauté de communes de Haute Lande a, elle, rendu les citoyens directement actionnaires de sa SEM, soucieuse de les associer à toutes les opérations engagées. Réunis au sein d’une coopérative, ils sont détenteurs de 25 % du capital. « Nous nous sommes engagés dans un programme d’installation de panneaux photovoltaïques notamment sur la toiture des particuliers volontaires. Et les recettes retirées de l’électricité produite seront converties en chèques travaux pour isoler leur logement. »

C’est là un autre atout des SEM : favoriser l’investissement dans une vraie politique locale de transition énergétique. Restant maître du jeu, les collectivités sont en mesure de réinvestir les ressources tirées de l’énergie produite dans des actions locales de maîtrise de la consommation. Nombreuses sont celles qui s’inscrivent ainsi dans une démarche « négawatt » associant développement d’énergies renouvelables et maîtrise-sobriété énergétique.

« Nous pouvons jouer aujourd’hui à la fois sur la production puisque nous produisons notre propre énergie éolienne et photovoltaïque mais aussi sur la consommation puisque nous avons tous les réseaux d’éclairage public de tout le département, tous les bâtiments publics qu’il faut essayer de mieux réguler en fonction de notre production », explique Alain Lebœuf de Vendée Energie. Et celui-ci d’insister : « Nous ne nous lançons pas dans un projet photovoltaïque ni éolien s’il n’y a pas une perspective de rentabilité. C’est un impératif. Et les dividendes sont totalement réinvestis localement, notamment dans la rénovation énergétique des bâtiments publics. » Sur 1 500 bâtiments répertoriés comme nécessitant des travaux d’isolation urgents, une centaine ont déjà été rénovés, ce qui a permis une économie d’énergie de 62 % en moyenne pour chaque bâtiment.

Dynamique de territoire

Le statut de SEM permet de développer des projets en lien avec tous les acteurs économiques locaux. Ainsi, Vendée Energie cherche-t-elle également à inciter les agriculteurs à développer des unités de méthanisation, en jouant le rôle de facilitateur auprès de ceux souhaitant se lancer dans cette voie : elle mobilise ses équipes pour les aider à monter leur projet et prend une part dans le capital. Et pour soutenir cette filière, elle s’est lancée dans un projet d’installation de huit stations-service GNV (gaz naturel pour véhicule), dont la première a été ouverte le 31 octobre.

« Les projets que nous engageons à travers la SEM créent une vraie dynamique de territoire », insiste lui-même Patrick Sabin. A son échelle, moyennant un investissement de 600 000 euros, la SEM Tepos de Haute Lande est, elle, en train de mettre en place une plate-forme de valorisation de la biomasse, qui produira des granulés et des bûches de bois ainsi que du compost. Un projet qui mobilise les agriculteurs comme les citoyens, tous étant appelés à alimenter la plate-forme en matière première.

En somme, comme le résume Emmanuel Julien, directeur de Sergies, « au lieu d’alimenter des sociétés du CAC40, nous développons une vraie économie circulaire locale, les fruits de nos opérations restant sur le territoire. »