• Un homme charismatique, anticolonialiste et panafricaniste

Né le 21 décembre 1949 à Yako (Nord de l’ex-Haute-Volta), Thomas Sankara a été formé militairement à Madagascar. En janvier 1983, à la faveur d’un coup d’Etat, il est nommé premier ministre. Le pays connaît alors une période d’instabilité et de nombreuses tensions minent l’armée. Arrêté en mai, Thomas Sankara ressurgit en août à la suite d’un nouveau coup d’Etat mené par son ami, le capitaine Blaise Compaoré.

Agé d’à peine 33 ans, il devient président et symbolise l’Afrique des jeunes et de l’intégrité. D’allure sportive, charismatique et le sourire facile, il bénéficie d’une indéniable popularité. Travailleur acharné, parfois autoritaire, il n’apparaît qu’en treillis avec, à la ceinture, un pistolet à crosse de nacre offert par le dirigeant nord-coréen Kim Il-sung.

Il vit simplement, avec sa femme et ses deux fils dans un palais présidentiel délabré et n’a pour seuls biens que sa guitare et sa Renault 5 d’occasion, un véhicule qu’il impose comme voiture de fonction à tous les membres du gouvernement.

A peine au pouvoir, il change le nom de son pays et la Haute Volta devient le Burkina Faso (« le pays des hommes intègres »). Ses priorités : assainir les finances publiques, améliorer la situation sanitaire avec de grandes campagnes de vaccination et la construction de dispensaires – par les habitants eux-mêmes –, faciliter l’accès à d’éducation, développer l’agriculture, la production et l’artisanat local.

  • Un président à la poigne de fer, qui parfois dérange

Sous son règne, la population burkinabée est surveillée par les « Comités de défense de la révolution » (CDR) et sanctionnée par les « Tribunaux populaires de la révolution » (TPR). Thomas Sankara achève une grève d’instituteurs par des licenciements et l’opposition syndicale est réprimée par des arrestations.

Sur la scène internationale, ses relations avec les autres pays sont parfois complexes. Ses prises de position, ses liens avec les sulfureux dirigeants de la Libye et du Ghana lui valent quelques inimitiés en Afrique, à commencer par la Côte d’Ivoire où Felix Houphouët-Boigny redoute que la jeunesse ivoirienne ne s’inspire de celle du Burkina Faso. Au président français François Mitterrand, qui avait accueilli officiellement le Sud-Africain Pieter Botha lié à l’apartheid, il donne une leçon sur les droits de l’homme.

Thomas Sankara appelle aussi l’Afrique à ne pas payer sa dette aux pays occidentaux : « La dette ne peut pas être remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, nous allons mourir. Soyons-en sûrs également. » Il inquiète, dérange de vieux bastions et se sait menacé. En 1987, il déclare :

« Je me sens comme un cycliste qui est sur une crête et ne peut s’arrêter de pédaler sinon il tombe. »

Le 15 octobre 1987, après quatre années au pouvoir et alors que « l’homme intègre », comme il est appelé, se rend à un conseil des ministres extraordinaire, il est assassiné avec douze de ses compagnons lors d’un putsch qui laisse Blaise Compaoré seul au pouvoir. Les corps sont enterrés en catimini le soir même au cimetière de Dagnoën, à l’est de Ouagadougou.

  • Une mort entourée de mystères

La mort de Thomas Sankara est restée tabou pendant les vingt-sept années au pouvoir de Blaise Compaoré, qui a été renversé en 2014 et vit aujourd’hui en exil en Côte d’Ivoire. En septembre 1997, quelques jours avant la prescription de dix ans, Mariam, veuve de Sankara, avait porté plainte contre X pour « assassinat ». Mais ce n’est qu’en mars 2015, cinq mois après la chute de M. Compaoré, qu’elle a été relancée.

Les corps présumés de Thomas Sankara et de ses compagnons ont été exhumés fin mai 2015 pour une expertise ADN, afin de déterminer avec certitude l’identité des victimes et de lever le voile sur les circonstances de leur mort. Mais malgré des analyses en France puis en Espagne, il n’a pas été possible de confirmer les identités.

Trente ans après l’assassinat de M. Sankara, une douzaine de personnes ont été inculpées, parmi lesquelles des militaires de l’ex-régiment de sécurité présidentielle – l’unité qui a perpétré le coup d’Etat avorté du 17 septembre 2015 et qui a été dissoute –, dont le chef des putschistes, le général Gilbert Diendéré. Inculpé pour « attentat à la sûreté de l’Etat » et « haute trahison » pour le putsch avorté, le militaire est également poursuivi dans l’affaire Thomas Sankara pour « atteinte à la sûreté de l’Etat, séquestration, terrorisme et crime contre l’humanité ».

Outre cet ancien chef d’état-major du président Compaoré, l’ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, un des anciens gardes du corps de Thomas Sankara, présenté comme le chef du commando, fait également partie de la douzaine d’inculpés.

Dans cette affaire complexe, les suspects ne manquent pas : Blaise Compaoré, des Libyens, des Ivoiriens ou encore des Français ? « J’admire ses qualités qui sont grandes, mais il tranche trop, à mon avis. Il va plus loin qu’il ne faut », avait déclaré François Mitterrand après avoir rencontré le « Che Guevara africain ». Une chose est sûre : pour son incorruptibilité légendaire, le leader charismatique dérangeait.

  • Pourquoi déclassifier les archives ?

En promettant que tous les documents français concernant l’assassinat de l’ancien président seraient « déclassifiés », Emmanuel Macron entend mettre un terme à des décennies d’opacité entretenues par ses prédécesseurs.

En affirmant qu’il « n’y a plus de politique africaine de la France », il espère instaurer un rapport d’égal à égal avec le continent, basé sur la confiance. En 2015, François Hollande avait engagé une déclassification des archives françaises sur le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994. Mais celle-ci ne fut que partielle et finalement décevante. Emmanuel Macron étendra-t-il sa volonté de transparence à l’ensemble du continent ?

A Ouagadougou, Sankara est encore partout