Documentaire sur Histoire à 20 h 40

couple Russe dans les années 80 / Nikolai Bakharev

Ménages à trois, ­divorces facilités, avortements autorisés, amour libre encouragé, nudité officiellement mise en scène. Pendant quelques années, du lendemain de la révolution d’Octobre à la mort de ­Lénine, en 1924, des millions de ­citoyens de la nouvelle Union ­soviétique ont connu une période de bouleversements ayant eu des effets directs sur leur vie intime. La promotion officielle de l’égalité entre hommes et femmes, la volonté de mettre à bas les symboles de l’ancien monde, comme la famille traditionnelle, et le mythe du « tout est à tout le monde, même la beauté du corps » font de l’URSS un vaste terrain d’expérimentations.

Dans certaines manifestations, on défile alors nu en brandissant des affiches « A bas la honte ! », mouvement dont le grand poète Vladimir Maïakovski est un ardent militant. Dans les maisons communautaires, on partage tout, même les sous-vêtements. Des archives du KGB ­récemment déclassifiées stipulent que « chaque femme des jeunesses com­munistes doit satisfaire les désirs sexuels des garçons de la jeunesse communiste ».

Après la mort de Lénine, changement radical d’atmosphère : la monogamie est obligatoire, le sexe avant le mariage officiellement proscrit. Staline interdit l’avortement, l’adultère, l’homosexualité, la masturbation. Désormais, les corps doivent être au service du travail, du sport et de l’édification du communisme. Une simple dénonciation d’adultère peut conduire au goulag. Evidemment, certains dignitaires du Kremlin continuent de mener une vie sexuelle débridée, avec de ­jolies danseuses ou actrices.

Des ardeurs refroidies

Dans la salle de projection du Kremlin, on visionne parfois des films occidentaux érotiques, et des artistes officiels, comme ­Eisenstein, accumulent, en cachette, des dessins « pornographiques ». Quand apparaissent les premiers préservatifs soviétiques, fabriqués près de Krasnodar, une partie de la population se réjouit. Mais la qualité pitoyable du produit qui éclate souvent au moment crucial refroidit les ardeurs.

Staline meurt en 1953 et, avec Khrouchtchev, s’ouvre une ère nouvelle. Le (relatif) dégel politique est aussi celui des corps. On ne risque plus le goulag pour un adultère et, en 1957, lors du Festival de la jeunesse, Moscou est ­envahie par plus de 30 000 jeunes venus du monde entier. ­L’année suivante, on observe une recrudescence de naissances d’enfants métissés dans les ­maternités du pays.

« La double vie, petite histoire de la sexualité en URSS », d’Inara Kolmane

Mais, officiellement, le sexe demeure tabou et l’homosexualité continue d’être sévèrement punie. Sous Brejnev, c’est la déprime générale. Dans l’art officiel, la femme peut être nue à condition d’avoir en main une pelle, un ­volant de tracteur ou un javelot ! Mais le sexe est plus fort que la terreur politique. En 1988, La ­Petite Vera, de Vassili Pitchoul, avec l’actrice Natalia Negoda, est le premier film soviétique à montrer une scène explicite.

C’est, au fond, l’histoire de l’URSS à travers la sexualité que raconte, dans cet étonnant documentaire, Inara Kolmane qui, de Riga à Kiev en passant par Saint-Pétersbourg, Moscou et la Sibérie, fait parler des témoins, des historiens, des ­cinéastes, des chercheurs pour étayer son propos.

La Double Vie, petite histoire de la sexualité en URSS, d’Inara Kolmane (Fr., 2017, 55 min).