L’avis du « Monde » – pourquoi pas

Robert Bober, 86 ans, auteur, entre autres documentaires et ouvrages, des très beaux Récits d’Ellis Island (avec Georges Perec, 1979), part sur les traces de Wolf Lieb Fränkel, un grand-père qu’il n’a jamais connu. Né dans une petite ville de Pologne, ce dernier avait tenté dans sa jeunesse d’émigrer aux Etats-Unis, mais ne dépassa pas le poste de douane d’Ellis Island. Refoulé en Europe, il revint s’installer à Leopoldstadt, le quartier juif de Vienne, pour reprendre son activité de ferblantier.

Le portrait de l’aïeul en son absence se double d’une traversée du XXe siècle viennois, sous le patronage des grands écrivains qui l’ont incarné (Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Joseph Roth, Thomas Bernhard), mais aussi de Max Ophüls, cinéaste emblématique dont un extrait de La Ronde (1950) est placé en exergue. Tout ceci converge vers une recherche, au sens proustien du terme, d’une culture yiddish – c’est-à-dire d’un peuple et de sa langue – ravagée au milieu du siècle par la barbarie nazie.

Tonalité intime et mélancolique

Le film est moins un documentaire stricto sensu qu’un essai libre et composite, puisant à différentes sources d’archives textuelles, iconographiques et filmiques pour reconstituer une forme de généalogie personnelle. Bober s’identifie pleinement et intimement à cette culture qu’il exhume. Sa voix off fait résonner un texte à la tonalité intime et mélancolique, établissant de nombreuses passerelles entre mémoire et histoire, comme autant de strates dans la « recollection » du temps. A cela s’ajoutent des images tournées au présent par l’auteur, comme par exemple ce beau moment suspendu au cimetière central de Vienne, où, dans le calme le plus complet, une biche s’invite entre deux rangées de tombes délabrées.

Le film s’écoule doucement, sans remous, au rythme d’une mémoire qui assemble entre eux les morceaux du passé. Le commentaire et les images, sagement agencés, ont sans doute quelque chose d’un peu scolaire, le film se recroquevillant dans une extrême modestie qui confine parfois à l’effacement. Mais la sensibilité et la tempérance de cette rétrospection en font tout le prix.

"Vienne avant la nuit" - Bande-annonce
Durée : 01:55

Documentaire français, autrichien et allemand de Robert Bober (1 h 20). Sur le Web : vendredivendredi.fr/film-vienneavantlanuit.html