La sanction est désormais définitive. La chambre criminelle de la Cour de cassation vient de confirmer la condamnation, prononcée en première instance puis en appel, à l’encontre d’Air France pour recours au travail dissimulé, dans une affaire où la compagnie aérienne se voyait reprocher d’avoir sollicité un prestataire dont le personnel était employé dans des conditions irrégulières. Rendue le 14 novembre et passée relativement inaperçue jusqu’à présent, la décision est jugée importante par des spécialistes de la lutte contre le travail illégal car elle rappelle les obligations très strictes qui pèsent sur une entreprise donneuse d’ordres à l’égard de ses sous-traitants.

Les faits remontent à un peu plus d’une quinzaine d’années. Aussitôt après les attentats du 11-Septembre, la direction d’Air France décide de renforcer la surveillance sur certains de ses vols long-courriers. Le 14 septembre 2001, elle passe avec Pretory SA un marché de gré à gré qui prévoit « la fourniture de sûreté » à bord des avions. Autrement dit, la présence dans les appareils d’agents de sécurité, employés par Pretory.

Les premiers nuages apparaissent en 2002, à la suite d’un contrôle de l’inspection du travail, qui constate diverses anomalies : pas de décomptes précis de la durée de travail des agents embarqués, vacations de plus de douze heures continues en violation de la convention collective, absence de déclarations préalables à l’embauche, bulletins de salaires non remis…

On découvrira, un peu plus tard, que quelque 200 salariés de Pretory, déclarés pour quinze heures par mois alors qu’ils travaillaient bien plus, avaient fait l’objet de contrats dits de « sous-traitance » avec une société anglaise, Vortex 25 ; leur rémunération, « au-delà des quinze heures », était réglée à partir de « comptes ouverts au Luxembourg ou à Guernesey », par le biais d’une entreprise « basée aux Iles Vierges britanniques », mentionne la Cour de cassation dans son arrêt.

Contrat maintenu « jusqu’à son terme »

Tracfin, la cellule antiblanchiment de Bercy, et la direction nationale des enquêtes fiscales mettent également leur nez dans le dossier. Une information judiciaire est finalement ouverte fin 2003 pour – entre autres – blanchiment de fonds en bande organisée, travail dissimulé, faux et usage de faux, etc. Après des années de procédure, plusieurs protagonistes, dont Air France, sont renvoyés devant le tribunal correctionnel : la compagnie est condamnée, en juillet 2013, à 150 000 euros d’amende pour s’être adjointe les « services d’une personne [morale] exerçant un travail dissimulé ».

Le groupe saisit la cour d’appel qui confirme, trois ans après, la peine infligée. Les juges invoquent notamment une « analyse juridique » rédigée, dès l’automne 2001, par le cabinet Gide Loyrette Nouel qui fait état de difficultés, dont l’une tient « au dépassement de la durée maximale quotidienne de travail ». Un an après, l’inspection du travail adresse à Air France une lettre faisant état d’« irrégularités » chez Pretory. La compagnie aérienne somme, du même coup, son prestataire de se remettre dans les clous, mais « elle n’en a pas moins maintenu l’exécution du contrat jusqu’à son terme, à la fin de l’année 2003 », tonne la cour d’appel.

Pour elle, la condamnation d’Air France est pleinement justifiée puisque la direction avait connaissance des infractions commises par Pretory. Les juges rappellent dans leur arrêt qu’un donneur d’ordres est en faute lorsqu’il ne s’assure pas que certaines « formalités » ont bien été accomplies. Ainsi, il doit se faire « remettre une attestation », de la part des organismes de recouvrement et de l’administration fiscale, pour tout ce qui a trait aux « déclarations relatives aux salaires et cotisations sociales » ; l’attestation doit dater « de moins de six mois ».

Des doutes exprimés par certains cadres

Au passage, la cour d’appel relève plusieurs faits pour le moins intrigants au sujet de Pretory. Cette société de sécurité est dirigée par deux anciens policiers, dont l’un fut responsable de la Fédération professionnelle indépendante de la police (un syndicat considéré comme étant proche de l’extrême droite) et l’autre fut condamné à de la prison ferme pour « vol à main armé » avant d’être révoqué de la fonction publique.

Pour remplir ses missions chez Air France, Pretory a recruté près de 700 agents « dont 173 avaient été dans une procédure de police judiciaire et 20 avaient été incarcérés », écrit la cour d’appel. Elle rapporte aussi les doutes exprimés par certains cadres d’Air France à propos du système de surveillance instauré sur les long-courriers, le délégué général aux achats allant jusqu’à dire à un de ses collègues : « Mettre des brutes avec un pois chiche à la place du cerveau sans contrôle dans les avions. Bof, bof… »

Dans l’arrêt qu’elle a rendue le 14 novembre, la Cour de cassation valide la décision prononcée en appel : « Commet sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé, celui qui ne vérifie pas (…) la régularité (…) de la situation de l’entrepreneur dont il utilise les services. »

MFanny Colin, l’avocate qui avait défendu Air France en appel, ne comprend pas que sa cliente soit condamnée dans cette affaire. La compagnie « n’avait pas connaissance du montage frauduleux mis en œuvre par Pretory », plaide-t-elle, en soulignant que tout s’est fait « à son insu ». Air France a procédé à toutes les vérifications nécessaires, complète MColin. La preuve : l’inspection du travail a estimé que le transporteur avait rempli ses obligations, relate l’avocate.

Enfin, insiste MColin, le parquet a constamment considéré, durant l’enquête et pendant les audiences (correctionnelle puis en appel), que les investigations n’avaient pas établi qu’Air France était au courant des violations du code du travail. Mais les juges ont conclu que ses arguments n’étaient pas probants.