Emmanuel Macron à Ouagadougou, le 28 novembre 2017. / LUDOVIC MARIN / AFP

Emmanuel Macron a achevé à Accra, au Ghana, jeudi 30 novembre, sa première tournée en Afrique de l’Ouest après une première étape à Ouagadougou et le sommet Union européenne-Union africaine à Abidjan.

Que faut-il retenir de ce périple africain ? Francis Kpatindé, maître de conférences à Sciences Po Paris, analyse le style Macron dans le fond et dans la forme.

L’épisode avec le président Kaboré et la climatisation a été très critiqué, notamment chez beaucoup d’Africains. Est-ce un faux pas selon vous ?

Francis Kpatindé : oui, car M. Macron se serait-il permis de dire cela à un président européen, asiatique ou américain ? Je ne crois pas. Mais il faut replacer cette bourde dans son contexte. Il s’exprimait face à des étudiants. Emmanuel Macron fait souvent des dérapages même en France. Je pense à ses déclarations sur les couches sociales les plus déshéritées et les Comoriens. Souvenez-nous des kwassa-kwassa qui envahiraient l’île française de Mayotte. Donc il est coutumier du fait, même dans son pays.

Emmanuel Macron a affirmé qu’il n’y avait plus de politique africaine de la France. Or, durant ce long discours, il a multiplié les annonces. Comment analysez-vous ce paradoxe ?

Il y a une politique africaine. Vous connaissez beaucoup de pays où il y a une cellule africaine ? Actuellement, il y a deux conseillers Afrique à l’Elysée et un conseil présidentiel pour l’Afrique. A ma connaissance, il n’y a pas une telle structure pour l’Amérique latine ou l’Asie.

Sur le franc CFA, Emmanuel Macron a expliqué que ce sont aux Africains de décider de garder ou non cette monnaie. Est-ce aussi simple ?

Non. C’est une manière d’esquiver le débat. Dans les quatorze pays qui l’utilisent, c’est le seul débat qui vaille, car le franc CFA est le dernier lien ombilical avec l’ancienne puissance coloniale. C’est anormal que 50 % des réserves de change des pays de la zone franc soient déposées au Trésor français. C’est anormal que ce type de relations perdure. Les pays africains ont donc une partition à jouer. La France aussi. Or Emmanuel Macron a esquivé le débat.

Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, Emmanuel Macron n’a pas dénoncé les régimes autoritaires africains. Comment cela a-t-il été perçu dans la jeunesse africaine ?

Ce que les jeunes Africains veulent, ce n’est pas que la France renverse les derniers dictateurs africains, mais que la France n’empêche pas qu’ils soient renversés par eux. Vous savez que, par le passé, la France a toujours évité que certains chefs d’Etat ne soient débarqués. Même pour Blaise Compaoré [chassé par une révolte populaire en 2014 après vingt-sept années au pouvoir], la France a failli empêcher la voix du peuple de se faire entendre. A la dernière minute, Paris a aidé à exfiltrer Blaise Compaoré vers la Côte d’Ivoire.

Peut-on dire qu’Emmanuel Macron est dans la continuité par rapport à ses prédécesseurs ?

Il y a une rupture dans le style et sur le fond. Il aura 40 ans le 21 décembre. Il n’a donc connu ni la colonisation, ni la décolonisation. Mais il hérite d’un Etat, d’une histoire, d’un passif. Il ne peut pas, en sept mois, éradiquer un système quasi-mafieux, pour qualifier ce que fut la Françafrique. Il faut donner du temps au temps.

A-t-il réussi à convaincre la partie de la jeunesse toujours plus hostile à la France ?

Non, car il faut plus qu’un discours, plus qu’une escale de quarante-huit heures. Cette jeunesse attend des actes. Et puis une grande partie de la jeunesse d’aujourd’hui est en alerte, contrairement aux aînés qui, en leur temps, étaient très portés sur les idéologies. Eux s’en « foutent ». Ces jeunes sont certes hostiles à la France, mais aussi à la Chine, aux Etats-Unis, à l’Inde, à la Turquie. L’intelligence de M. Macron c’est d’avoir compris cela, car il a l’âge de l’Afrique jeune. Il faut parler à ces jeunes d’égal à égal. Et c’est la première fois dans l’histoire de la Ve République.

Emmanuel Macron a promis de déclassifier les archives liées à l’assassinat de l’ancien président burkinabé Thomas Sankara, même les plus sensibles. En a-t-il réellement le pouvoir ?

Tout d’abord, il faut dire que c’est l’annonce la plus spectaculaire de son voyage. Depuis trois décennies, la famille de Thomas Sankara tente désespérément de savoir les circonstances de sa mort. Les expertises balistiques réalisées sur les restes révèlent que c’est une mort par balles mais les expertises ADN n’ont rien donné : on n’arrive pas à déterminer avec certitude si ce sont les restes de Thomas Sankara. Il a sûrement été assassiné avec une convergence d’intérêts de la sous-région et peut-être de la France. Les chercheurs et la justice ont donc besoin des archives pour savoir ce qui s’est passé et pour qu’on situe les responsabilités. M. Macron a le pouvoir de demander la déclassification, mais les militaires peuvent y faire obstacle. Il faut bien se rendre compte qu’en Afrique le capitaine Thomas Sankara est aujourd’hui une icône de la stature de Mandela, même pour des jeunes qui ne l’ont pas connu. D’où l’importance de régler cette question-là.

Que faut-il retenir du sommet UE-UA d’Abidjan auquel a participé Emmanuel Macron ?

Pas grand-chose. Les Européens sont venus avec les problèmes migratoires et de sécurité. Les Africains sont venus avec les leurs, notamment celui de fixer les gens au pays. Il faut qu’il y ait les conditions préalables. L’une d’elles, c’est qu’on achète les matières premières africaines à leur juste valeur. A Paris, une tasse de café peut coûter jusqu’à 10 ou 12 euros dans certains quartiers, mais les paysans ivoiriens, eux, n’en boivent pas du tout et ils se contentent de mauvais chocolat. Il y a donc aussi un problème dans les relations commerciales entre l’Afrique et l’Europe.