La première salve de la politique migratoire souhaitée par le gouvernement a été tirée mercredi. L’Assemblée nationale durcit l’arsenal législatif pour reconduire les migrants « dublinés ». Jusqu’ici, les étrangers relevant du règlement de Dublin – ceux dont la demande d’asile a déjà été prise en compte dans un autre pays membre de l’Union européenne – étaient placés en rétention le temps que les préfectures exécutent les décisions d’éloignement.

Le Conseil d’Etat avait considéré dans un avis de juillet 2017 que la loi française dans son état actuel ne permettait pas de placer un étranger « dubliné » en rétention avant qu’il ait fait l’objet d’une décision de transfert vers un Etat tiers. Le texte adopté mercredi 29 novembre par la commission des lois prévoit que l’administration pourra placer un étranger « dubliné » en centre de rétention administrative (CRA) avant même l’intervention d’une décision de transfert.

« Nous reconduisons beaucoup trop peu », avait affirmé Emmanuel Macron au début de septembre. La reconduite des « dublinés » vers leur pays d’entrée est une procédure longue, complexe, et peu appliquée : seuls 10 % ont été effectivement transférés l’an dernier. Pour augmenter les taux, les « dublinés » seront donc placés en rétention dès que la demande aura été déposée auprès de l’Etat où ils ont été enregistrés. Jusqu’à présent, il fallait attendre que l’arrêté de transfert ait été pris, selon le texte.

Pour le rapporteur du texte, Jean-Luc Warsmann, député les Constructifs des Ardennes, « il s’agissait de donner à l’administration française tous les moyens que le droit européen met à sa disposition » pour assurer l’effectivité du renvoi des « dublinés » du territoire, rapporte Le Figaro.

« Mesure d’enfermement massive »

Les associations d’aide aux migrants dénoncent une « mesure d’enfermement massive ». « Avec cette proposition de loi, l’enfermement devient “préventif” et les préfectures pourront enfermer des personnes qui n’ont pas de mesure d’éloignement, le temps pour elles d’examiner leur situation », déplore la Cimade.

Depuis le début de l’année, « 40 % » des migrants venant s’enregistrer en préfecture pour une démarche d’asile « avaient déjà demandé l’asile dans un autre pays et souvent en avaient été déboutés », avait fait savoir à la fin d’octobre le ministre de l’intérieur, Gérard Collomb, devant une commission de l’Assemblée nationale. La crainte des autorités concernant ces migrants « dublinés » est que le phénomène s’amplifie, d’une part venant d’Allemagne qui a débouté « entre 400 000 et 500 000 migrants » depuis 2015, mais « en a reconduit 80 000 » seulement, selon les chiffres de M. Collomb. Même s’ils sont enregistrés dans un autre pays, les demandeurs d’asile « dublinés » peuvent être hébergés et touchent l’allocation pour les demandeurs d’asile.

« Mieux présenter juridiquement les procédures »

Le ministre de l’intérieur avait reconnu à la fin d’octobre qu’un arrêt de la Cour de cassation allait « causer un certain nombre de difficultés », puisqu’il juge illégal le placement en rétention des « dublinés » en l’absence de définition objective, dans la loi, du risque de fuite. Une décision largement ignorée dans les faits, assurent les associations d’aide aux étrangers (Cimade, Ligue des droits de l’homme, Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples…), pour lesquelles nombre de « dublinés » « sont encore convoqués dans les préfectures pour y être interpellés et placés en rétention ».

« Nous allons essayer de mieux présenter juridiquement les procédures », avait assuré M. Collomb. D’une part dans le projet de loi sur l’immigration attendu pour 2018, qui définit le « risque non négligeable de fuite » – le texte portant par ailleurs la durée maximale de la rétention à quatre-vingt-dix jours, voire cent trente-cinq en cas d’obstruction. Et dès le 7 décembre, avec la proposition de loi déposée par Les Constructifs qui sera soumise à l’Assemblée nationale pour « sécuriser le placement en rétention » des migrants sous procédure Dublin, par une définition précise du risque de fuite.

« Vives inquiétudes face à l’évolution de l’accueil des étrangers »

Depuis plusieurs mois, les pouvoirs publics cherchent également à rationaliser l’accueil des « dublinés », en les regroupant dans les centres d’hébergement. Ce qui n’est pas sans inquiéter les associations. Le Défenseur des droits, Jacques Toubon, s’est récemment dit « particulièrement préoccupé » par le programme d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile (Prahda), dont « l’un des objectifs est de préparer le transfert des personnes sous procédure Dublin ».

Les principaux acteurs de l’hébergement des migrants ont rappelé mercredi 29 novembre à Emmanuel Macron le principe d’« accueil inconditionnel » de leur action, aux antipodes du contrôle qu’elles redoutent de voir monter en puissance, en Ile-de-France notamment. « Le socle de nos missions se fonde sur le principe d’accueil inconditionnel », prévoyant que « toute personne en situation de détresse présente sur le territoire a le droit à un hébergement et un accompagnement », et ce, « quel que soit [son] statut administratif », affirment les associations dans une lettre ouverte au chef de l’Etat.

Les vingt-deux signataires (un large éventail associant Fondation Abbé Pierre, Emmaüs, Secours catholique, SAMU social de Paris, Médecins du monde, etc., à l’exception du groupe SOS) expriment ainsi leurs « vives inquiétudes face à l’évolution de l’accueil des étrangers » et « du rôle attribué aux associations dans l’orientation de ces publics ».

En effet les centres d’hébergement, qui accueillent une majorité de « dublinés », « ont pour mission d’héberger et d’accompagner, pas de contrôler les gens qui sont à l’intérieur », a rappelé Florent Guéguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (ex-Fnars) à l’origine de cette lettre ouverte. « On refuse de faire le tri » et « si les centres deviennent des pièges à migrants, un certain nombre d’associations vont se retirer des dispositifs, et les migrants eux-mêmes n’iront plus », a-t-il averti.

Le règlement Dublin

Le règlement européen Dublin III du 26 juin 2013 établit que, sauf critères familiaux, le pays responsable de la demande d’asile d’un migrant est le premier pays qui l’a contrôlé. Ses empreintes sont enregistrées dans le fichier Eurodac.

La procédure. Un migrant qui veut faire une demande d’asile en France doit d’abord s’enregistrer à la préfecture, qui consulte Eurodac pour déterminer si un autre pays est responsable. Si c’est le cas, le migrant est placé en « procédure Dublin », le temps de demander à l’État responsable de le reprendre. Durant cette période, il dispose de certains droits (dont l’allocation pour demandeur d’asile) mais peut être assigné à résidence ou placé en rétention. S’il ne se rend pas à plusieurs convocations, il est déclaré « en fuite » et perd ses droits.

Le transfert peut être décidé si l’État responsable donne son accord. Si cette expulsion n’est pas réalisée dans les six mois après la réponse (dix-huit mois en cas de fuite), le migrant peut faire sa demande d’asile en France.