Le pape François accueilli au centre bouddhiste de Kaba Aye, à Rangoun, le 29 novembre. / MAX ROSSI / REUTERS

A 16 h 15, mercredi 29 novembre, à Rangoun (Birmanie), on a déchaussé le pape François, resté en chaussettes. Le chef de l’Eglise catholique venait d’arriver au centre Kaba Aye, lieu symbolique du bouddhisme Theravada birman, pour rencontrer le conseil Sangha – composé de 47 moines nommés par le gouvernement –, chargé d’administrer les affaires des quelque 500 000 moines (1 % de la population) que compte le pays.

Dans la longue salle, deux lignes d’hommes assis se font face. A gauche, les robes pourpres ou safran des moines bouddhistes, tradition dans laquelle s’inscrit 88 % de la population. A droite, les soutanes blanches des évêques et des cardinaux qui accompagnent le pape, venu pour la première fois soutenir les 700 000 catholiques du pays. De part et d’autre, les visages sont concentrés. Les tensions religieuses et ethniques fragilisent la transition politique birmane après cinquante ans de dictature militaire, et le drame des Rohingya est dans tous les esprits, à défaut d’être dans les mots.

Une demi-heure plus tard, dans son discours, François cite d’une même phrase le Bouddha (« Elimine la colère avec l’absence de colère, vaincs le méchant avec la bonté ») et saint François d’Assise (« Seigneur, fais de moi un instrument de ta paix. Là où est la haine que je porte l’amour, là où est l’offense que je porte le pardon »). « Puisse cette sagesse continuer à inspirer tout effort pour promouvoir la patience et la compréhension, et pour guérir les blessures des conflits qui au fil des années ont divisé les personnes de diverses cultures, ethnies et convictions religieuses » au Myanmar, a souhaité le pontife.

Nationalisme religieux virulent

Le chef de l’Eglise catholique a voulu cette rencontre avec la plus haute institution du bouddhisme dans le pays pour la convaincre de s’impliquer dans un dialogue interreligieux destiné à réduire les tensions confessionnelles et « dépasser toutes les formes d’incompréhension, d’intolérance, de préjugé et de haine ».

Parallèlement à la transition politique, une fraction du clergé bouddhiste s’est engagée ces dernières années dans un nationalisme religieux virulent qui trouve un écho dans la population et dont les musulmans ont été les premiers à faire les frais.

Les militaires, qui conservent un poids institutionnel y compris après la victoire sans partage du parti d’Aung San Suu Kyi en novembre 2015, ont joué sur cette crispation en se lançant depuis dix-huit mois, et surtout depuis août, dans une répression féroce et à grande échelle contre les populations civiles de Rohingya dans l’ouest du pays, contraignant 600 000 personnes à s’exiler au Bangladesh voisin. Le conseil Sangha a fini par désavouer l’engagement politique des moines les plus extrémistes, mais sans jamais se prononcer sur la politique de l’armée dans l’Etat Rakhine, d’où sont chassés par le sang les Rohingya.

Le pape François a fait valoir au clergé bouddhiste que les leaders religieux ont un rôle particulier à jouer dans la recherche d’une « paix inclusive ». Le matin même, il avait demandé aux quelque 150 000 catholiques venus de tout le pays participer à une messe, à Rangoun, de faire leur part du travail de réconciliation en « renonçant à la vengeance ».

Non-dits de la question Rohingya

Beaucoup ont en effet souffert des diverses guerres civiles dont la Birmanie a été le théâtre ces dernières décennies. Le président du conseil Sangha, Buaddanta Kumarabhivamsa, a semblé souscrire à l’objectif de François. Mais il est difficile de dire à qui il pensait précisément lorsque, sans désigner aucune confession en particulier, il a déploré que des croyances religieuses puissent servir de support au « terrorisme et à l’extrémisme ».

Les non-dits de la question Rohingya ont ressurgi mercredi soir. Interrogé sur la décision du pape de ne pas employer ce terme pour ne pas braquer les militaires, le porte-parole du Vatican, Greg Burke, a fait observer, lors d’une conférence de presse, que le pontife ne peut pas « résoudre des problèmes impossibles ».

A ses côtés, l’un des évêques birmans, John Hsane Hgyi, a semblé douter de la véracité des témoignages laissant à penser que les musulmans du Rakhine sont victimes de ce que les Nations unies ont qualifié de « nettoyage ethnique ». Selon lui, certains des témoignages ne seraient pas « fiables ».