Le pape François en visite en Birmanie le 29 novembre. / MAX ROSSI / REUTERS

Le pape François a appelé mercredi 29 novembre les bouddhistes birmans « à dépasser toutes les formes d’intolérance, de préjugé et de haine » dans un pays fustigé à l’international pour son traitement de la minorité musulmane des Rohingyas. Après avoir recommandé « le pardon » aux 150 000 fidèles catholiques réunis sur un immense terrain de sport pour une messe en plein air, le pape s’est entretenu dans l’après-midi avec la Sangha, plus haute instance bouddhiste du pays.

Pour ce voyage inédit dans ce pays majoritairement bouddhiste, le souverain pontife a plaidé pour l’unité estimant qu’il n’était plus possible de « rester isolés les uns des autres », assis face aux hauts membres du clergé bouddhiste dans un temple de Rangoun. Pour lui, « toute la société » doit « participer au travail de dépassement du conflit et de l’injustice ».

Le pape argentin marche sur des œufs depuis son arrivée en Birmanie lundi, tant l’opinion publique bouddhiste accepte mal les critiques internationales sur le sort de la minorité apatride rohingya. Il n’a d’ailleurs jamais osé prononcer ce mot tabou, alors qu’à Rome il s’émeut publiquement pour ses « frères Rohingyas » « torturés et tués ».

620 000 réfugiés

En Birmanie, la xénophobie et la haine des musulmans gagnent du terrain et une grande majorité des habitants considèrent les Rohingyas, qu’ils nomment « Bangladais », comme des immigrés illégaux qui ne font pas partie du pays.

Plus de 620 000 membres de cette minorité se sont réfugiés au Bangladesh depuis fin août pour fuir les exactions de l’armée birmane, coupable d’« épuration ethnique » d’après les Nations unies. Mais le haut clergé bouddhiste, qui a mis plusieurs années avant de bannir le mouvement des moines extrémistes de Wirathu qui propage la haine de l’islam, ne s’est jamais exprimé en faveur de la minorité musulmane discriminée.

Les moines, qui sont plus de 500 000 dans le pays, constituent une force considérable et ont toujours pris part à la politique dans ce pays d’Asie du Sud-Est. A l’époque de la junte militaire, ils ont souvent été en première ligne lors des manifestations contre la dictature, le payant parfois de leur vie.

Mais les plus virulents, qui sont aujourd’hui les plus audibles et les seuls à s’exprimer dans le pays, ont balayé d’un revers de main cet appel à la tolérance. « Nous sommes heureux qu’il n’ait pas prononcé le mot Rohingya mais je veux lui suggérer de lire le Coran pour voir s’il pense toujours que c’est une religion de paix », a commenté Sithu Myint, militant nationaliste proche des moines radicaux.

Temps de pardonner

La Birmanie est en proie à des guerres civiles dans plusieurs régions frontalières. Dans l’ouest du pays, où vivent les Rohingyas, des regains de violences entre les communautés sont récurrents. Mais lors de sa messe mercredi matin le pape a estimé qu’il était temps de pardonner même si « beaucoup portent les blessures de la violence, qu’elles soient visibles ou invisibles ».

Devant une foule très retenue, arborant des vêtements ethniques et agitant une nuée de drapeaux birmans et du Vatican, François est « venu offrir quelques paroles d’espérance ». Très émus par la première visite d’un pape dans le pays, de nombreux catholiques – 1 % de la population – ont passé la nuit dans des lieux improbables comme des cimetières d’églises.

« Je n’avais jamais rêvé voir le pape de mon vivant ! », a confié Meo, 81 ans, de la minorité Akha. Quant à Gregory Than Zaw, de l’ethnie Karen, venu en bus avec 90 personnes, il n’avait « jamais vu autant de catholiques ».

Restrictions religieuses

Le catholicisme qui a pris racine au XVIe siècle via des marchands portugais implantés dans le comptoir indien de Goa, a longtemps été discriminé sous la junte militaire.

Avec l’ouverture du pays en 2011 après des décennies d’isolation, le pays a connu une levée des restrictions religieuses. Mais dans le même temps un regain des tensions interconfessionnelles.

Pour la deuxième partie de son voyage asiatique, le pape se rendra jeudi au Bangladesh musulman, pays où vivent plus de 900 000 réfugiés rohingyas. Le pape doit rencontrer un petit groupe de ces réfugiés à Dacca.

Jorge Bergoglio a terminé sa journée par une rencontre avec les 22 évêques de Birmanie, appelés comme les bouddhistes à œuvrer pour « l’unité » du pays. Osant à ce moment-là son allusion peut-être la plus appuyée sur les Rohingyas : la communauté catholique peut être fière de son « engagement pour les pauvres, pour ceux qui sont privés de droits et surtout, ces temps-ci, pour tant de déplacés qui, pour ainsi dire, gisent blessés au bord de la route ».