Jeudi 30 novembre, l’indice Dow Jones a battu des records à la Bourse de New York. / Mary Altaffer / AP

On connaît l’adage boursier : acheter la rumeur, vendre la nouvelle. La Bourse de New York jubilait, jeudi 30 novembre. L’indice Dow Jones a battu des records et fini au-dessus des 24 000 points (24 272,35 points en hausse de 1,39%), les marchés anticipant un vote de la réforme fiscale aux Etats-Unis. Les républicains et le président Donald Trump mènent au pas de charge cette réforme dont ils ont absolument besoin pour se présenter devant leurs électeurs – lors des élections à mi-mandat – dans un an. Peu importe, pour l’instant, que cette réforme accusée de profiter aux plus riches soit aujourd’hui impopulaire : il faut un résultat.

Tout semblait bien parti ce jeudi, le sénateur républicain de l’Arizona John McCain, qui avait empêché cet été l’abrogation de la loi Obama sur la santé, ayant mentionné qu’il voterait en faveur de la réforme. Mais le processus s’est enrayé dans la soirée à cause d’un désaccord sur la maîtrise future des déficits. Explication : cette réforme va entraîner une baisse massive des impôts, estimée à 1 400 milliards de dollars (1 175 milliards d’euros) sur dix ans, soit 0,75 % du PIB par an. Et les spécialistes du Congrès le reconnaissent eux-mêmes : le surplus de croissance généré par cette réforme ne rapportera que 460 milliards de dollars et couvrira donc moins du tiers des baisses d’impôts.

Foire d’empoigne

Cette perspective place les républicains face à leurs incohérences : sous Barack Obama, ils avaient fait de la lutte contre les déficits un combat majeur et les voilà qui privilégient désormais les baisses d’impôts. Pour contenter les deux factions – les partisans des baisses d’impôts et ceux de l’équilibre budgétaire –, une partie des sénateurs républicains exige qu’en cas de retournement de la conjoncture les impôts repartent automatiquement à la hausse.

Cette proposition est jugée absurde du point de vue macroéconomique, car procyclique : elle aggraverait la récession, alors qu’en réalité il faut creuser les déficits en période de vaches maigres pour tempérer la rigueur de la crise. Ensuite, elle provoque une foire d’empoigne au sujet de la décision, dans ce cas, d’augmenter les impôts des classes moyennes, de sabrer dans les dépenses fédérales et d’épargner les entreprises. Ce sujet bloquait jeudi soir l’adoption de la réforme par le Sénat, ainsi qu’une série de marchandages sur des sujets majeurs comme l’éducation, la santé, etc.

La réforme menée aspire à réaliser d’un coup ce que le président Ronald Reagan avait accompli en deux fois dans les années 1980 : simplification du code des impôts – avec baisse des taux et suppression des niches pour élargir l’assiette, ce que nul ne conteste – et, surtout, baisse de la pression fiscale.

Une baisse des impôts est-elle opportune ?

Ce dernier choix suscite des interrogations : une baisse des impôts est-elle opportune, alors que le déficit budgétaire est encore de 3,5 % du PIB en 2017, en dépit d’un rythme de croissance de 3,3 % ? L’école keynésienne répond par la négative : l’économie en plein boom n’a pas besoin de stimulus budgétaire. Relâcher tout effort dans ce domaine pourrait inciter la Réserve fédérale à riposter en augmentant ses taux, au risque de briser les marchés et la croissance. Sans parler d’une éventuelle crise d’endettement, pour un Etat qui doit 20 000 milliards à ses créanciers.

L’administration Trump ne partage pas ce raisonnement, comme l’a exposé, jeudi, le sous-secrétaire au Trésor, David Malpass, lors d’une rencontre à New York avec le Council on Foreign Relations (CFR) : elle estime que la reprise engagée après 2008 est la première à s’être accompagnée d’une baisse du salaire médian. Le président veut réaliser un choc d’offre, en rendant les entreprises plus compétitives pour doper la croissance et en redonnant, par contrecoup, du pouvoir d’achat aux travailleurs américains.

Aujourd’hui, l’économie est repartie, mais elle ne tourne pas encore à pleine puissance : le chômage est, certes, retombé à 4,1 % de la population active, mais ce chiffre cache un recul de la participation des hommes au marché du travail, notamment en raison de la crise des opioïdes. L’équipe Trump estime que ce chiffre peut remonter avec de la formation professionnelle.

Amnistie déguisée

Ici arrive le second débat, la réforme est tournée vers les entreprises. L’équipe Trump veut réduire drastiquement l’impôt sur les sociétés (IS), qui ne représente plus que 2 % du PIB et 11 % des revenus fédéraux (contre respectivement 6 % et 32 % en 1952). Le taux de l’IS devrait être abaissé de 35 % à 20 % ou 22 %, ce dernier chiffre correspondant à la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques (avec les déductions, le taux réel d’imposition actuel est de 27 % estime le CFR). Seconde mesure, à l’avenir, les entreprises pourront déduire de leurs bénéfices toutes leurs dépenses d’investissements.

L’économiste en chef de Citigroup, Willem Buiter, a dénoncé l’absurdité de ces deux mesures conjuguées, en interpellant M. Malpass : « Si vous pouvez déduire tous vos investissements de la base de votre IS, la réduction du taux de l’IS n’a aucun effet incitatif pour investir. Fin de l’histoire. Pourquoi vendre cette histoire absurde ? » Réponse du sous-secrétaire au Trésor, il ne s’agit pas des mêmes entreprises. La baisse de l’IS doit inciter les multinationales à investir aux Etats-Unis plutôt qu’à l’étranger et à y rapatrier des activités.

Car la réforme fiscale est complétée par une troisième décision majeure : la taxation à un taux réduit (10 % souhaite le Sénat, 14 % demande la Chambre des représentants) des 2 900 milliards de profits des multinationales logées à l’étranger, qu’ils soient effectivement rapatriés ou non. A l’heure où les Européens traquent les 350 milliards révélés par les « Paradise Papers » et luttent contre l’évasion fiscale des GAFA, cette amnistie déguisée et non coopérative va offrir aux multinationales américaines un afflux d’argent frais pour un montant huit fois supérieur. Reste à savoir si ces montants seront investis et transformés à terme en revenus salariaux.