U2 en 2017. / ANTON CORBIJN

Trois ans après Songs of Innocence, premier volet d’un diptyque aux titres inspirés par un recueil du poète anglais William Blake, Songs of Innocence and Experience, U2 publie, le 1er décembre, Songs of Experience, son quatorzième album studio. Consacré à l’évocation de leurs souvenirs d’adolescence et de leurs « premiers voyages géographiques, spirituels et sexuels », le précédent chapitre avait vu ses intentions polluées par un coup de marketing – la livraison gratuite de l’album, le 9 septembre 2014, aux 500 millions de clients de iTunes, la plate-forme numérique d’Apple – transformé en « bad buzz », beaucoup comparant ce « cadeau » à un spam introduit sans consentement dans les ordinateurs et téléphones personnels.

Lire la critique de « Songs of Innocence » : La nota bene de la bande à Bono

Remis sur pied par deux tournées (Innocence + Experience Tour et le récent Joshua Tree Tour) ayant battu records d’affluence et de rentabilité, les Irlandais ne devraient pas être trop déstabilisés, cette fois, par les révélations des « Paradise Papers », citant Bono parmi les impliqués dans des pratiques d’optimisation fiscale : le chanteur a officiellement soutenu ce combat pour la transparence et U2 a toujours reconnu prendre grand soin de son « business ». Comme le disait Bono : « Ce n’est pas parce que vous êtes un philanthrope et un militant que vous devez être stupide en affaires. »

Amour de son prochain

Rayonnant d’amour de son prochain (« love » apparaît dans le titre de trois chansons sur treize), Songs of Experience optimise le savoir-faire mélodique d’une formation moins « plus grand groupe de rock du monde » que roi de la pop œcuménique. Déjà perceptible dans le précédent opus, cette tendance à abandonner la rage lyrique au profit de la joliesse harmonique est accentuée dans un disque misant tout sur la séduction vocale et l’art du refrain.

Prévue fin 2016, la sortie a été retardée par la volonté de Bono de retravailler certains de ses textes, en réaction à la vague conservatrice – Brexit et élection de M. Trump. Ce retour à l’ouvrage a armé le disque d’une chanson de combat, American Soul, introduite par le rappeur Kendrick Lamar, en prêcheur allumé : « Blessed are the liars, for the truth can be awkward » (« bénis soient les menteurs car la vérité peut être génante ») destiné au roi des « fake news » et rappelant à l’Amérique sa vocation originelle de terre d’asile. Mais si d’autres morceaux (Summer of Love, Red Flag Day ou l’anxiogène The Blackout) évoquent, entre autres, le destin tragique des réfugiés, Bono, habitué à porter la parole caritative auprès des puissants, semble moins préoccupé par la marche du monde que par une réflexion intime.

U2 - American Soul (Lyric Video)
Durée : 04:26

Autre épisode de la conception de Songs of Experience : l’accident de moto dont a été victime Bono, fin 2014 à New York, qui l’aurait aiguillé vers une écriture plus introspective et des chansons à ­destination de ses proches. Sur la pochette, le photographe Anton ­Corbijn n’a-t-il pas immortalisé le fils du chanteur, Elijah Hewson, tenant la main de la fille du guitariste de The Edge, Sian Evans ?

Chercher à flatter de potentiels jeunes auditeurs

Habités de transmission spirituelle, nombre de ces titres, qualifiés par Bono de « chansons testaments », s’adoucissent naturellement au rythme d’un partage apaisé. Après avoir été produits par Danger Mouse lors de Songs of Innocence, les Dublinois ont ­confié la réalisation de cet album à une équipe se divisant entre spécialistes d’une electro et d’une pop R’n’B au goût du jour (Ryan Tedder, Andy Barlow) et vieux complices rock (Steve Lillywhite, Jacknife Lee). Une approche cherchant à flatter de potentiels jeunes auditeurs (la voix « autotunée » de Love Is All We Have Left, la ligne de basse sautillante de Get Out of Your Own Way échantillonnée d’un titre du groupe Haim, le remix existant du tubesque You’re the Best Thing About Me par le DJ norvégien Kygo) et les vieux fans (un The Little Things That You Give Away qui n’aurait pas dépareillé The Joshua Tree).

U2 - You’re The Best Thing About Me (Official Video)
Durée : 04:11

On peut déplorer des synthétiseurs trop mièvres, des chœurs de gospel dégoulinant parfois de tous les bons sentiments du rock chrétien (le racoleur Love is Bigger Than Anything in its Way). Force est de reconnaître que cette dynamique spirituelle, chère à U2 depuis le début des années 1980 – marqué par le cynisme et le désespoir post-punk –, donne une aguichante variété de mélodies. Exprimées sur un mode enlevé (Red Flag Day, le très « fifties » The Showman, plein d’autodérision), tendre (Landlady) ou mélancolique (la tournerie folk de Summer of Love), elles donnent la meilleure collection de chansons du groupe depuis All That You Can’t Leave Behind (2000).

U2 - The Blackout
Durée : 04:52

1 CD Island/Universal.

www.u2.com