Frank Schneider, avec un ballon, et Valère Germain, en sang avec un bandage, échangent leurs points de vue lors du match Montpellier-Marseille, le 3 décembre. / PASCAL GUYOT / AFP

Chronique. Si l’on en croit Joseph Staline : « Le plus grand plaisir, c’est de choisir son ennemi, de préparer son coup, d’assouvir sa vengeance, puis d’aller se coucher. » Auquel cas les arbitres de Ligue 1 en ont donné beaucoup, du plaisir, en ce dimanche 3 décembre. Dignes de leur statut d’« usual suspects », les hommes en noir, parfois en vert, en jaune ou en gris, en ont vu de toutes les couleurs, suffisamment pour faire oublier la défaite du PSG, samedi à Strasbourg ; ce qui vous donne un peu un ordre de grandeur des coups bas donnés et reçus.

S’étant déjà fait tailler un beau costume, il y a quelques semaines, par l’ancien président rennais René Ruello, dont les derniers mots avant de se faire virer furent pour clamer qu’« après avoir échangé avec lui, je peux, sans me tromper, assurer que M. Schneider est un prétentieux entêté et sûr de lui, et comme tous les prétentieux, c’est un imbécile ». Le dit M. Schneider, Franck de son prénom, a été rhabillé pour l’hiver du côté de Montpellier. Conspué par tout un stade, dézingué par des commentateurs plus cyniques tu meurs, Franck Schneider libre arbitre a donc accordé un penalty jugé litigieux par ceux qui n’ont pas à prendre la décision, avant de refuser un but pour un hors-jeu jugé inexistant, sauf par ceux qui ont la responsabilité de diriger le jeu.

« Il parlait de manière agressive »

Il se trouve que ces deux coups de sifflets étaient à la défaveur de Montpellier, dont le président, Laurent Nicollin, a expliqué avec ironie : « Avant j’étais contre, mais maintenant je suis pour la vidéo. » Il se trouve aussi, qu’à la revoyure, et pour rentrer sans s’y attarder dans le débat technique, M. Schneider et ses adjoints avaient raison. Il est évident que Vitorino Hilton fait acte de jeu sur l’action du but refusé, il faut même plusieurs ralentis pour conclure qu’il ne touche pas le ballon du crâne, et sur le penalty, il y a une faute, peut-être légère, mais bien réelle.

L’arbitre fait donc partie du jeu, mais le jeu fait-il partie de l’arbitre ? Un peu plus tôt dans l’après-midi, Laurent Stien, arbitre adjoint, s’y est pris, au jeu, de mains. Intervenant sur la pelouse avec une énergie que l’on qualifiera gentiment de mal maîtrisée, le juge de touche s’est collé au plus près du défenseur lyonnais Marçal, lui hurlant dessus, à tel point que le joueur a fini par lui fermer son clapet manu militari lors d’une scène tout à fait inédite.

D’autant plus qu’elle s’est terminée sans encombre, ni sanction pour le joueur. « Je le touche mais je le pousse pas », a déclaré le Brésilien, avec le sourire, en zone mixte. « Lui [l’arbitre] parlait beaucoup. J’ai fait ça [il mime avec la main devant lui]. J’étais tranquille. Et après quand je le touche, je dis pardon, parce qu’on ne peut pas toucher. Mais c’était pas agressif, c’était juste pour faire “tranquille”. J’ai parlé avec lui après et ça va, il a compris, il a dit pardon aussi, parce qu’il parlait de manière agressive. »

Encore un peu plus tôt dans l’après-midi, c’est comme un parent d’élève défendant son gamin blessé que l’entraîneur nantais, Claudio Ranieri, a toqué à la porte du vestiaire des arbitres, à la mi-temps du match contre Saint-Etienne. Son Valentin Rongier avait pris une bonne semelle sur la cheville, bien marquée il est vrai. « Ils ont arbitré à l’anglaise ! », s’est donc écrié l’Italien devant les caméras de BeIN Sports, avant de faire le Français devant celles de Canal+ en hurlant que « ça mérite le rouge, putain ! ».

« Faut être fair-play, ou alors faut jouer aux cartes »

Le coach des Canaris en est ensuite venu au fait : à un corps arbitral médusé, il a expliqué que perdre le match ne serait pas si grave, alors que perdre son joueur préféré, beaucoup plus. Une déclaration d’amour en colère qui n’aura pas manqué de toucher le petit Valentin en plein cœur, oubliée la cheville meurtrie. Emu lui aussi, l’arbitre François Letexier aurait bien poursuivi la discussion mais il ne put que constater avec déception que son interlocuteur venait de déguerpir, cédant à la timidité après sa confession : « C’est un monologue, monsieur Ranieri ? », feignait donc de s’étonner l’officiel pour garder la face, pendant que dans son coin, le coprésident des Verts Roland Romeyer grommelait que « faut être fair-play, ou alors faut jouer aux cartes ».

Avouons qu’on ne voit pas bien le rapport, mais c’est ce qui rend la dialectique romeyerienne si délicieusement déroutante. Gageons par conséquent qu’il saura apprécier toute la délicatesse d’un autre monologue, tenu par un autre homme en noir (c’est noir), et qui au nom de tous les arbitres de cette Terre (et des autres) se demande bien pourquoi, et comment, et puis quoi encore.

Stalker- Writer's monologue
Durée : 05:08