Manifestation devant la Commisison européenne après la décision de Bruxelles d’autoriser le renouvellement du glyphosate pour une durée de cinq ans, le 27 novembre. / YVES HERMAN / REUTERS

L’affaire du glyphosate n’est pas prête de se clore. Plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) ont annoncé, lundi 4 décembre, qu’elles portaient plainte pour cinq motifs distincts contre les agences réglementaires européennes responsables de l’évaluation de la toxicité de l’herbicide. L’avis favorable de ces agences avait servi de socle à la proposition de renouvellement de la licence d’exploitation du produit pour cinq ans, soumise par la Commission européenne aux Etats membres, et votée le 27 novembre à la suite d’une volte-face controversée de l’Allemagne qui avait rendu possible l’obtention d’une majorité qualifiée.

Outre l’Autriche, la France et l’Italie, l’Allemagne figure justement parmi les quatre pays où les ONG vont déposer leurs plaintes d’ici à la fin décembre. L’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, le BfR, est en effet dans la ligne de mire de ces procédures judiciaires inédites. En 2012, l’Allemagne, désignée « Etat rapporteur » pour l’Union européenne, avait confié à son institut national l’évaluation du dossier de demande de renouvellement déposé par les industriels commercialisant le glyphosate en Europe, emmenés par Monsanto au sein de la « Glyphosate Task Force ». La seconde agence visée par les plaintes, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), avait, elle, pour rôle de superviser la vérification et la validation du travail du BfR. Or, la qualité de ce travail a été sérieusement remise en question au fil des derniers mois par différents acteurs de la société civile, des élus européens et des scientifiques.

Pas d’évaluation indépendante

En Autriche, où la première plainte devait être déposée le jour même devant le procureur de Vienne, l’ONG Global 2000 attaque ainsi le BfR et l’EFSA pour fraude, dommages corporels, mise en danger volontaire de la sécurité publique, détérioration de l’environnement, et falsification de documents. Les autres ONG impliquées – Générations futures en France, et les branches européennes, allemande et italienne de Pesticide Action Network (Pan) – adapteront l’intitulé des motifs aux lois de chaque pays. En substance, ces ONG accusent les agences d’avoir violé l’article 11 du règlement régissant la mise sur le marché des pesticides en Europe, en manquant de procéder à « une évaluation indépendante, objective et transparente » du dossier des industriels. Elles affirment que le BfR a tout simplement copié-collé le dossier de la Glyphosate Task Force pour faire son propre rapport.

Après s’être aperçu que de longues parties du texte étaient similaires dans les deux documents, le biochimiste Helmut Burtscher, qui travaille pour l’ONG Global 2000, avait commandité une expertise à un spécialiste du plagiat de renommée internationale. En septembre, Stefan Weber avait conclu que « tous les critères de définition du plagiat » s’appliquaient au rapport préliminaire du BfR « dans le sens d’une tromperie consciente concernant la véritable paternité » du texte. C’est principalement sur son constat argumenté que s’appuient les plaintes des ONG. « Il s’agit de bien plus qu’une question de copyright », a souligné Josef Unterweger, l’avocat autrichien qui accompagne la plainte déposée à Vienne, lors d’une conférence de presse en ligne le 4 décembre. « Le BfR a plagié des parties substantielles du dossier, le reprenant mot pour mot sans citer sa source et n’a donc pas effectué d’évaluation qui lui serait propre. »

Conclusions identiques

Le dossier des industriels comportait deux types de données scientifiques. D’une part, les études de toxicité financées par les industriels qui, protégées par le secret commercial, ne sont pas accessibles au public pour vérification. D’autre part les « résumés critiques » d’études publiées, elles, dans les revues scientifiques. Ce sont ces derniers qui ont été copiés-collés. Dans le chapitre évaluant le caractère génotoxique du glyphosate par exemple, les résumés critiques des industriels présentaient la totalité des études publiées comme « non fiables » alors que les trois quarts d’entre elles rapportaient une capacité du glyphosate à endommager l’ADN.

L’inventaire de ces études, leur analyse et le jugement porté sur leur validité sont, mot pour mot, identiques dans le rapport du BfR. D’après M. Burtscher, seuls 2 % du texte – soit une infime proportion des 46 pages du chapitre ont été écrits stricto sensu par le BfR : ils correspondent en fait aux numéros de référence indexant chaque étude. Dans d’autres parties, les phrases indiquant « analyse de Monsanto » dans le dossier des industriels ont été remplacées par la mention « commentaires additionnels » dans le rapport du BfR, sans qu’il ne soit jamais signalé l’origine du texte.

En toute logique, les conclusions étaient identiques. Les industriels estimaient que le glyphosate n’est ni génotoxique, ni cancérogène, ni toxique pour la reproduction. Le BfR aussi. Des conclusions endossées après relecture et révision par l’EFSA. En mars 2015, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), une agence spécialisée des Nations unies, avait estimé pour sa part que le glyphosate était « cancérogène probable pour l’homme ».

« L’EFSA réaffirme ses conclusions sur le glyphosate », a réagi dans un courriel un porte-parole de l’agence, pour qui « ces allégations n’ont rien de nouveau ». « Répéter encore et encore les mêmes allégations et menacer d’action en justice servent peut-être à faire de la publicité mais certainement pas à fournir des informations au débat public. Les allégations selon lesquelles l’EFSA aurait commis une fraude ou aurait volontairement mis le public en danger sont quelque chose que nous récusons avec la plus grande fermeté. » Le BfR n’a pas répondu au Monde.