FuelsEurope a fait travailler deux cabinets britanniques pour produire deux études complémentaires. / PEDRO PARDO / AFP

Après les décisions de plusieurs capitales comme Paris (à partir de 2024), Londres ou Bruxelles de bannir progressivement le diesel de leurs rues dans les prochaines années, pour protéger la santé de leurs citoyens, l’industrie pétrolière a décidé de contre-attaquer.

FuelsEurope, l’association européenne qui défend ses intérêts, avait convoqué la presse, lundi 4 décembre, pour rendre publique « une contribution majeure au débat politique et industriel ». En l’occurrence, « un rapport tout à fait essentiel et révélateur », pour reprendre les termes du groupement, qui soutient qu’avec les futures normes Euro 6d – en vigueur à partir de 2020 –, les nouvelles voitures diesel ne pollueront pas plus que les véhicules dits à zéro émission (ZEV électriques, hybrides ou à hydrogène) qui ont désormais la faveur de la Commission européenne.

Après le scandale du « dieselgate », qui a révélé au grand jour l’incapacité des tests d’homologation à détecter les dispositifs frauduleux développés par certains constructeurs, Volkswagen en tête, pour minorer les rejets réels d’oxydes d’azote (NOx) de leurs moteurs diesel, l’Union européenne a décidé d’introduire un cycle de contrôles en conditions de conduite réelles (RDE), en plus des traditionnels tests en laboratoire. A partir de 2020, les émissions de NOx en RDE ne devront pas dépasser 1,5 fois le niveau autorisé en laboratoire (80 mg/km).

FuelsEurope a fait travailler deux cabinets de conseil britanniques, le premier spécialisé en transport et énergie (Ricardo), le second en qualité de l’air (Aeris Europe), afin de produire deux études complémentaires.

« Un sacré soulagement »

Le cabinet Ricardo a passé au crible une dizaine de véhicules – de six constructeurs – correspondant déjà à la génération Euro 6d dans des conditions de conduite réelles. Courbes à l’appui, les résultats (obtenus en sortie de pot d’échappement) tendent à démontrer que non seulement les Euro 6d respecteront les nouvelles normes européennes d’ici à 2030, mais que les émissions de Nox en RDE n’excéderont pas celles mesurées en laboratoire.

« C’est un sacré soulagement pour nous, déclare au Monde le porte-parole de FuelsEurope, Alain Mathuren. Pour la première fois, les voitures diesel vont respecter les normes. »

Une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, le rapport estime que les émissions totales de NOx mais aussi de particules fines (PM2,5, inférieures à 2,5 µm) vont mécaniquement diminuer à mesure que les nouveaux diesels vont remplacer les plus anciens (Euro 3, Euro 4, Euro 5 et Euro 6) toujours en circulation aujourd’hui.

Pour le parc allemand, par exemple, le rapport estime que le niveau annuel d’émissions de NOx va chuter de 160 000 tonnes en 2015 à environ 25 000 tonnes en 2030. L’étude n’insiste pas, en revanche, sur le fait que si les diesels sont remplacés par des ZEV (et non des Euro 6d), alors le niveau de NOx tombe quasiment à zéro.

En ce qui concerne les PM2,5, leurs rejets seront au moins divisés par deux entre 2015 (plus de 6 000 tonnes par an) et 2030 (environ 3 000 tonnes) estime le rapport, avec la généralisation des Euro 6d, soit quasiment le même niveau qu’avec une flotte de véhicules à zéro émission (environ 2 500 tonnes).

Et selon l’étude, ces émissions de particules ne seront pas majoritairement dues à la motorisation du véhicule, mais à d’autres sources que la combustion. Ce qui fait dire à M. Mathuren qu’« il faut aussi prendre en compte l’usure des freins, des pneus et de la route ».

Conclusion « révolutionnaire »

Pour pousser sa démonstration (« le diesel peut faire le job en termes de qualité »), FuelsEurope a demandé à Aeris Europe de comparer les conséquences de ces deux scénarios (remplacement de tous les anciens diesels par des Euro 6d et remplacement de ces mêmes vieux véhicules par des véhicules à zéro émission) sur l’exposition des populations de grandes villes comme Paris, Londres ou Munich. L’étude conclut que d’ici à 2030, toutes les grandes villes respecteront les normes européennes en termes de particules fines mais que des points noirs persisteront pour le dioxyde d’azote (NO2). Ainsi, selon les simulations d’Aeris Europe, environ 1 % des 2 392 stations de surveillance de la qualité de l’air réparties dans l’Union européenne dépasseront encore les limites autorisées (40 µg/m3 en moyenne annuelle). A Paris, notamment, trois stations seront encore hors des clous, la mesure la plus élevée revenant à celle du Stade de France avec près de 60 µg/m³.

Ces résultats sont obtenus avec les deux scénarios. Ce qui conduit FuelsEurope à soutenir que « remplacer tous les nouveaux véhicules diesel par des voitures zéro émission n’apportera que très peu d’amélioration par rapport au scénario Euro 6d » et à une deuxième conclusion « révolutionnaire » : la voiture, qu’elle soit « zéro émission » ou Euro 6d, ne sera pas (ou plus) la principale source de pollution en ville à l’horizon 2030.

FuelsEurope brandit le rapport pour clamer qu’« en finir avec le moteur thermique, et en particulier le diesel, n’est pas forcément la bonne solution », pour reprendre les termes de son porte-parole.

« Boule de cristal »

Ce n’est pas l’avis de l’ONG européenne Transport & Environment (T&E), qui a pu avoir accès aux conclusions dudit rapport et le juge « irréaliste ». Elle considère notamment que l’étude « sous-estime » les chiffres, au regard de l’écart qui existe entre les niveaux d’émission en conduite réelle et en laboratoire. Et de se référer aux derniers résultats des organismes de contrôle nationaux ou des travaux indépendants de l’ICCT (International Council on Clean Transportation, l’ONG américaine ayant mis au jour la fraude de Volkswagen) qui pointent encore des écarts de 1 à 4 pour les derniers modèles diesel.

« L’industrie pétrolière voit dans sa boule de cristal que les émissions des nouvelles voitures sur route seront aussi basses que durant les tests d’homologation, mais l’histoire récente montre que c’est un vœu pieu, déclare au Monde Greg Archer de T&E. La réalité, c’est que les émissions des diesels sont si compliquées à contrôler qu’elles seront toujours supérieures sur la route et c’est pourquoi cette étude sous-estime la probable contribution des futurs véhicules diesel. »

Pour le spécialiste, le rapport n’arrive pas non plus à masquer que « l’air toxique continuera à empoisonner des habitants des grandes villes en 2030 ! ». Et M. Archer d’arriver à la conclusion inverse à celle de FuelsEurope : « Remplacer les diesels sales, et en définitive toutes les voitures à moteur thermique, par des véhicules à zéro émission ou les interdire des centres-villes constitue la seule voie pour être sûr de respirer un air sain. »