Le couple David Mullins (à gauche) et Charlie Craig, lors d’une émission de télévision tournée dans leur maison de Denver, le 28 novembre 2017. / DAVID ZALUBOWSKI / AP

La Cour suprême des Etats-Unis devait se pencher, mardi 5 décembre, sur une pâtisserie. Un gâteau de mariage constitue en effet le cœur du différend qu’elle va devoir trancher. Un concept plus qu’un mélange savant de farine, d’œuf et de sucre, en vérité, puisque le différend est né du refus d’un pâtissier de Denver (Colorado), Jack Phillips, un chrétien évangélique fervent, de vendre en 2012 l’une de ses réalisations à un couple d’homosexuels, Charlie Craig et David Mullins. Ces derniers souhaitaient célébrer leur union dans la plus pure tradition. Ce choix a fini par créer une querelle quasi homérique opposant deux Amériques en apparence irréconciliables.

A l’époque, le refus avait été sanctionné par la Commission des droits civiques du Colorado, au nom de la lutte contre les discriminations basées sur les orientations sexuelles. Une sourde guerre des gâteaux s’était ensuivie à Denver. Une pâtissière avait ainsi été poursuivie dans la même ville par un client au motif qu’elle avait refusé de confectionner un gâteau en forme de Bible avec sur sa couverture la représentation de deux hommes en jeunes mariés barrée d’une croix accompagnée de la mention « l’homosexualité est un péché ». Elle avait proposé de vendre le gâteau sous la même apparence, sans la mention, mais en ajoutant les ingrédients permettant au client d’apposer la formule de son choix. La Commission des droits civiques avait absous la commerçante.

Création artistique

Cette différence de traitement, pour des cas qui n’étaient pas rigoureusement identiques, a poussé Jack Philipps à saisir la Cour suprême du Colorado, qui a refusé de trancher le différend. Il s’est, en dernier recours, tourné vers celle des Etats-Unis pour tenter de faire prévaloir un autre point de vue : la défense de la liberté d’expression et de la liberté religieuse. La plus haute instance juridique des Etats-Unis a accédé à sa demande.

Jack Philipps récuse l’accusation de comportement discriminatoire. Il assure être tout disposé à vendre des gâteaux ordinaires à des homosexuels. Il juge en revanche la réalisation d’une pièce célébrant ce type d’union contraire à ses convictions. Le pâtissier estime que la confection d’un tel gâteau relève en outre de la création artistique et que cette dernière ne saurait être placée sous la contrainte. Lui commander une pièce à l’occasion du mariage des deux hommes reviendrait selon l’artisan à lui faire endosser une forme de mariage qui le heurte, même s’il a été légalisé ultérieurement par la Cour suprême. « Jésus était un charpentier, il n’aurait pas confectionné de lit pour cette union », ne cesse-t-il de répéter.

Des prises de positions déroutantes

Pour Charlie Craig et David Mullins, autoriser un tel refus de vente risque de produire des réactions en chaîne pour toutes une série de transactions commerciales liées à une cérémonie de mariage pour des couples de même sexe, qu’il s’agisse de fleuristes, de coiffeurs, de cuisiniers ou de tailleurs. Les avocats de défense des droits civiques et des juristes prestigieux qui se sont portés à leurs côtés voient dans cette guérilla juridique une tentative de réaction à l’arrêt historique rendu par la Cour suprême en 2015.

L’arbitrage entre liberté religieuse et lutte contre les discriminations a mis au jour dans ce cas des prises de positions déroutantes. Le courant libertarien incarné notamment par le Cato Institute a pris position, avec l’administration de Donald Trump, une vingtaine d’Etats conservateurs et d’autres spécialistes du droit, aux côtés du pâtissier. Un juriste émérite, Eugene Volokh (université de California), spécialiste du premier amendement (sur la liberté d’expression et la liberté religieuse), avait défendu en 2013 le refus d’un photographe d’immortaliser un couple homosexuel. Il soutient aujourd’hui les clients éconduits.

La composition de la Cour suprême étant ce qu’elle est, un seul juge départagera probablement les quatre conservateurs et les quatre libéraux. Il s’agit d’Anthony Kennedy, nommé par le président républicain Ronald Reagan, mais qui adopte sur les questions sociétales des propositions proches de celles des démocrates. Il avait rédigé en 2015 l’arrêt légalisant le mariage homosexuel et ses commentaires promettaient d’être particulièrement attendus mardi. La Cour se prononcera avant la fin du mois de juin 2018.