Le président (sortant) de l’Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem (à gauche) et le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, le 5 décembre  2017. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Selon nos informations, la liste européenne des paradis fiscaux que les ministres européens des finances devaient valider, mardi 5 décembre, à Bruxelles, contient 18 noms d’Etats ou de juridictions : les Iles Samoa, l’île de Guam, Bahreïn, le Cap-Vert, Grenade, la Corée du Sud, Macau, les Iles Marshall, le Maroc, la Mongolie, la Namibie, les Palaos, Sainte-Lucie, Trinité-et-Tobago, la Tunisie, les Emirats arabes unis, le Panama et la Barbade.

Tous ces noms auront-ils été maintenus par les grands argentiers européens à l’issue d’une réunion très politique, sachant que les tractations diplomatiques ont été intenses ces derniers jours à Bruxelles ? Les Etats membres ont de fait cherché à réduire une liste qui comptait encore 29 noms, vendredi 1er décembre au soir, pour préserver de la mise à l’index des territoires amis ou dont ils estimaient qu’ils ne méritaient pas un tel traitement. Le Qatar, encore présent sur la liste le week-end dernier, en a ainsi disparu, lundi 4 décembre.

« La liste noire doit contenir tous les pays qui ne remplissent pas tous les critères complètement, sinon c’est de la politique » avait prévenu Pierre Moscovici, le Commissaire à l’économie et à la fiscalité, lundi. C’est en effet la Commission qui a initié cet exercice inédit, dès 2015, poussée par les scandales en série (Luxleaks, Panama Papers, etc.) à agir enfin avec énergie contre l’évasion et la fraude fiscales.

Liste grise et liste « Hurricane »

Les vingt-huit ministres de l’Union européenne (les Britanniques compris), devaient aussi adopter deux autres listes, mardi. D’abord, une liste « grise » d’une quarantaine de juridictions ayant pris des engagements forts de changer leurs pratiques ou leurs législations dans les mois qui viennent. Ces derniers jours, des sources proches de l’Ecofin (la réunion des ministres de l’Union européenne) espéraient que cette liste grise serait rendue publique, tout comme la liste « noire ». Et surtout qu’elle soit soumise à une revue, sérieuse, au moins annuelle, afin de vérifier que les juridictions ont tenu parole.

Ensuite, une autre liste de huit noms devait être validée, la « liste hurricane » (ouragan), établie par les experts du « groupe code de conduite », une émanation du conseil européen, pilotée par les Etats membres, qui planche depuis un an sur la liste noire, avec l’assistance de la Commission. Cette dernière liste concerne des petites îles en développement de la zone Caraïbes (Iles vierges britanniques, Antigua…) ayant été touchées par les ouragans de la fin de cet été, à qui il a été donné quelques mois de plus, jusqu’en février 2018, pour tenir leurs engagements de changer leurs pratiques.

Pour éviter d’être classées sur la liste noire définitive, les juridictions devaient théoriquement respecter trois grands critères définis par Bruxelles fin 2016 : se conformer aux standards d’échange automatique de données de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), éviter de favoriser l’implantation de sociétés offshore et s’engager à accepter, d’ici à fin 2017, les lignes directrices de lutte contre l’évasion fiscale des multinationales de l’OCDE. L’Union a choisi d’exclure d’emblée les pays européens de cette liste : ils sont déjà censés se conformer au droit de l’UE en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales.

Moulinette

Plusieurs sources proches des discussions du « groupe code de conduite » l’assurent : ce dernier, malgré qu’il reste opaque, a travaillé avec sérieux, examinant scrupuleusement chacun des 92 noms d’Etats ou de juridictions initialement retenus en regard des critères. La liste finale ne devrait cependant pas échapper aux critiques : pourquoi les Etats-Unis, qui pourtant n’ont pas pris l’engagement de faire de l’échange automatique, n’y figurent pas ? Pourquoi l’Union a t-elle refusé de passer la Russie à la moulinette de ses critères ? Pourquoi a t-elle refusé d’élargir sa revue à certains de ses propres membres, pourtant connus pour leurs fiscalités particulièrement accommodantes (Irlande, Luxembourg, Malte, Pays-Bas) ?

Les sanctions attachées à la liste pourraient aussi faire débat. Ces derniers jours, il n’y avait pas de majorité parmi les Etats membres pour imposer aux pays et juridictions à l’index des sanctions « pan européennes » censées être appliquées avec la même fermeté par tous les Etats membres. Tout au plus les paradis fiscaux identifiés par Bruxelles ne pourront plus héberger de montages financiers par lesquels transite de l’argent européen.

Face à un bloc de pays dont la France, l’Allemagne et l’Italie, plaidant pour des sanctions dures (taxation des flux financiers entrants et sortants), d’autres comme le Royaume-Uni, Malte, le Luxembourg ou l’Irlande, estiment que le seul fait de figurer sur la liste suffisait.