Il faut revoir en profondeur les règles de revalorisation du smic, dont le caractère automatique tend à pénaliser l’emploi des personnes les plus fragiles. C’est la proposition choc contenue dans le rapport qu’un groupe d’experts indépendants vient de transmettre, comme tous les ans, aux partenaires sociaux membres de la commission nationale de la négociation collective (CNNC). Ce document, dont Le Monde a pris connaissance, vise à éclairer les organisations de salariés et d’employeurs appelées à donner leur avis au gouvernement qui fixera ensuite le niveau du salaire minimum. Le groupe d’experts, dont la composition a été profondément renouvelée durant l’été et qui est désormais présidé par l’économiste Gilbert Cette, relance ainsi un débat récurrent depuis des années. Toute la question, maintenant, est de savoir si le pouvoir exécutif va reprendre à son compte cette préconisation, propre à soulever l’hostilité d’une partie de la gauche et de plusieurs centrales syndicales.

Chaque année, le smic est augmenté, automatiquement, en tenant compte de deux données : la progression, sur douze mois, de l’indice des prix (hors tabac) pour les 20 % de ménages les plus modestes et la moitié de l’évolution annuelle du pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBOE). Le gouvernement peut, éventuellement, y ajouter un « coup de pouce ». Depuis sa création, en 2008, le groupe d’experts s’était, le plus souvent, borné à dire s’il convenait d’accorder ou pas un tel « bonus » – et sur la période récente, sa réponse était « non », généralement. Cette fois-ci, il est allé beaucoup plus loin en ouvrant la « réflexion à des pistes de réformes possibles ». Deux préoccupations l’ont guidé : « réduire le chômage » et « lutter efficacement contre la pauvreté ».

Effets pervers

Pour lui, changer le mécanisme de revalorisation du salaire minimum « apparaît nécessaire ». Car la France est dans une situation « sans équivalent » si on la compare à d’autres économies développées : elle est la seule, avec « la Belgique, le Luxembourg et la Slovénie », à appliquer une règle d’indexation automatique, parmi les 27 pays membres de l’OCDE (sur 35) qui ont un salaire minimum ; et le fait d’utiliser « simultanément » deux paramètres (l’inflation et la moitié du pouvoir d’achat du SHBOE) est unique au monde.

Une telle procédure engendre des effets pervers, selon le comité d’experts, parce qu’elle nourrit une « forte circularité entre les hausses du smic et celles des salaires ». Dans les accords de branche sur les rémunérations, « le taux de revalorisation moyen des salaires minima est étroitement lié au taux de revalorisation du smic », constate le rapport.

En outre, le salaire minimum dans l’hexagone s’avère plus élevé que dans la plupart des Etats membres de l’OCDE : en montants bruts, il représente près de la moitié du salaire moyen (contre 25 %, par exemple, aux Etats-Unis ou un peu plus de 40 % en Allemagne) ; seuls trois pays affichent des ratios plus élevés (Nouvelle-Zélande, Costa-Rica, Colombie).

Or, « les études portant spécifiquement sur le coût du travail pour les salaires proches du smic en France ont conclu à l’existence d’effets négatifs sur l’emploi », souligne le groupe d’experts, qui ajoute : « Les relèvements du [salaire minimum] peuvent ainsi avoir un effet préjudiciable » sur l’activité des « personnes les moins qualifiées » et donc « la pauvreté » de celles-ci.

Choix politiques

Du coup, les gouvernements « de toute appartenance politique » s’attachent, depuis près de vingt-cinq ans, à abaisser le coût du travail au niveau des bas salaires, à travers des mesures ciblées (exonérations de charges patronales, crédit d’impôt pour l’emploi et la compétitivité). Grâce à elles, la France, au sein de l’OCDE, se situe dans la moyenne, s’agissant du « coût du travail au niveau du [smic], rapporté à celui du salaire médian ». Revers de la médaille : de telles aides aux employeurs absorbent des milliards d’euros et sont « coûteuses pour les finances publiques ».

Ces choix politiques se révèlent discutables, d’autant plus que la revalorisation du smic a des retombées limitées sur le sort des plus modestes, enchaîne le groupe d’experts. Ainsi, une étude montre qu’un accroissement de 1 % du salaire minimum produit « un effet faible, voire nul, sur le revenu disponible des ménages » – l’augmentation de la rémunération étant, en tout ou partie, contrebalancée par une diminution des prestations et une légère hausse de la taxe d’habitation. Pour combattre la pauvreté, insiste le rapport, il est plus efficace de majorer la prime d’activité – issue de la fusion de la prime pour emploi (accordée aux salariés chichement rétribués) et du RSA-activité (un complément de ressources pour les travailleurs pauvres).

Sur la base de toutes ces considérations, le groupe d’experts recommande « de modifier la formule de revalorisation du smic ». Deux options sont envisagées. La première consisterait à ne tenir compte que de l’inflation – et donc à éliminer toute référence au SHBOE. La seconde, nettement plus radicale, se traduirait par la suppression de « toute règle d’indexation obligatoire ». Elle a certes comme « inconvénient de ne plus garantir le pouvoir d’achat » du salaire minimum mais on peut cependant très bien imaginer que l’exécutif prenne l’engagement de préserver celui-ci, sur trois à cinq ans, mentionne le rapport. Si cette solution était retenue, la France se convertirait à un régime « à peu près semblable à celui en vigueur dans la très grande majorité des pays où existe un salaire minimum national et où le gouvernement porte la totale responsabilité de sa revalorisation ». Une observation qui peut laisser supposer que le groupe d’experts penche plutôt en faveur de ce scénario.