Des proches des victimes, le 30 novembre à l’extérieur de la base de Mar del Plata. / Marina Devo / AP

La polémique ne cesse d’enfler en Argentine autour de la mystérieuse disparition du sous-marin San-Juan, le 15 novembre, au large des côtes de la Patagonie, avec 44 marins à bord. La tragédie s’explique-t- elle par le budget réduit des forces armées argentines, depuis plusieurs années, pour entretenir un sous-marin acheté en Allemagne en 1985, ou par une affaire de corruption portant sur une réparation effectuée entre 2008 et 2014 pour prolonger la durée d’utilisation du submersible ?

Lors de sa première apparition publique depuis l’accident, le ministre de la défense, Oscar Aguad, a affirmé, le 4 décembre, qu’il y avait eu « corruption » à l’époque de la réparation du San-Juan, c’est-à-dire sous la présidence péroniste de Cristina Kirchner (2007-2015). Il a mentionné des « anomalies » dans l’achat des batteries, soulignant « que la réparation, qui devait être faite en deux ans, a duré cinq ans ».

Pour M. Aguad, le problème des forces armées argentines est qu’elles sont « stigmatisées depuis trente-quatre ans » à la suite de la répression illégale pendant la dictature militaire (1976-1983), qui a fait des milliers de disparus, et à cause de la défaite cuisante de la guerre des Malouines, en 1982, contre le Royaume-Uni. A cela s’ajoute, selon lui, la politique de défense de l’ancienne présidente Kirchner consistant à « réprouver les militaires et à réduire leurs salaires ».

L’aide de la Russie et des Etats-Unis

Les crises économiques à répétition expliquent également que le budget militaire de l’Argentine soit parmi les plus bas d’Amérique latine. Selon M. Aguad, le San-Juan avait connu « un accident similaire » avec une entrée d’eau dans le sous-marin, sans préciser de date. « La différence est que l’eau n’était pas arrivée jusqu’aux batteries comme actuellement », a précisé le ministre de la défense.

Pour sa part, le porte-parole de la marine, le capitaine Enrique Balbi, a déclaré que la disparition du bâtiment ne serait « peut-être jamais élucidée ». Il estime que si aucune épave n’est retrouvée, il n’y aura pas les preuves nécessaires pour déterminer les causes du drame. Il espère toutefois qu’une expertise d’un sous-marin identique au San-Juan, le Santa-Cruz, actuellement en réparation, pourra aider à savoir ce qui s’est passé.

La marine a également demandé des informations au fabricant, le groupe allemand ThyssenKrupp. Ce dernier a précisé « n’avoir eu aucun contact opérationnel avec la flotte de sous-marins argentins depuis plus de deux décennies ».

Pour tenter de retrouver l’épave du San-Juan, un bateau russe, le Yantar, est arrivé le 5 décembre en Argentine, avec à son bord un submersible capable d’explorer les fonds marins jusqu’à 6 000 mètres de profondeur. La Russie avait connu, en août 2000, la dramatique disparition d’un sous-marin nucléaire, le Koursk, avec 118 membres d’équipage, dans la mer de Barents.

Un navire américain, l’Atlantis, est également attendu dans les prochains jours avec un petit véhicule sous-marin, télécommandé et capable, lui aussi, de plonger jusqu’à 6 000 mètres de profondeur.

Mission de surveillance de la zone de pêche

Le 24 novembre, la marine avait indiqué que le San-Juan avait subi « une explosion », faisant abandonner l’espoir qu’il puisse y avoir des survivants. Le 30 novembre, elle a mis officiellement fin à ses opérations de recherche d’éventuels survivants. Cela a entraîné la colère des familles des marins disparus qui ont accusé la marine de leur avoir menti, sachant, selon eux, depuis le premier jour, que sous-marin avait explosé. Dans son dernier message, le 15 novembre à 7 h 30, le San-Juan avait annoncé avoir subi une avarie de ses batteries, mais que celle-ci avait été maîtrisée.

Les familles des marins ont manifesté, le 3 décembre, à Mar del Plata, depuis la base navale jusqu’au centre-ville, pour interpeller le président Mauricio Macri (centre droit) sur l’arrêt des recherches. Ils souhaitent que le chef de l’Etat vienne à Mar del Plata. Huit familles se sont constituées parties civiles dans le cadre de l’instruction de la juge fédérale Marta Yañez. La magistrate a demandé la levée du secret défense, pour savoir quelle était la mission exacte du sous-marin.

La marine a perdu tout contact avec le San-Juan alors qu’il avait mis le cap vers la base navale de Mar del Plata, son port d’attache, après un exercice militaire au sud du continent américain, où il accomplissait, officiellement, une mission de surveillance de la zone de pêche de l’Argentine. La perte du sous-marin porte un coup fatal à la capacité opérationnelle de la marine. D’autant que le San-Juan était le fleuron des forces armées argentines, dont les équipements sont généralement obsolètes.