A Dakar, le 28 octobre 2017. / SEYLLOU/AFP

L’affaire Khalifa Sall n’en finit pas d’agiter le Sénégal. Après avoir vu son immunité parlementaire levée par l’Assemblée nationale le 25 novembre, réduisant ses espoirs de sortir de prison en attente de son procès, le maire-député de Dakar a décidé de jouer son va-tout. Mardi 5 décembre, il a fait savoir par la voix de ses avocats qu’il acceptait de verser la caution de 1,8 milliard de Francs CFA (2,7 millions d’euros), équivalant au montant que l’Etat sénégalais l’accuse d’avoir détourné, afin de jouir d’une liberté provisoire.

Il a fallu toute la force de conviction de ses amis, de sa famille et de ses collègues de parti pour qu’il accepte cette solution de dernier recours, redoutée depuis son incarcération en mars 2017 pour « détournement, escroquerie aux deniers publics et blanchiment de capitaux ». « Khalifa Sall a toujours été réticent à l’idée de payer une caution, ce qui sous entendrait qu’il avoue les crimes qui lui sont reprochés », confie une source proche du dossier.

Si des sommes importantes avaient été levées auprès de la population sénégalaise et sa diaspora via des collectes de dons en ligne ou au porte-à-porte, elles n’ont pas été assez importantes pour compléter la caution. Ainsi, afin de déposer mardi sa requête en caution devant Samba Sall, doyen des juges d’instruction, le député-maire a dû hypothéquer quatre biens immobiliers lui appartenant ainsi que ceux de proches soutiens.

« La valeur cumulée de ces biens est supérieure au préjudice estimé par l’Etat », soutient Me Cheikh Khoureychi Ba, avocat membre du conseil de défense du maire. Un argument que ne peut entendre Me Baboucar Cissé, avocat de l’Etat sénégalais constitué partie civile dans le dossier. « Cette forme de caution n’est pas recevable, lance-t-il. La loi dit qu’il faut cautionner le montant du manquant initialement détourné. Elle ne dit pas qu’il faut le fournir en garanties hypothécaires. Sans compter que certains des titres fonciers qui nous ont été transmis sont grevés de charges. »

« Politiquement trop dangereux »

En l’état, les avocats de la partie civile estiment que la requête sera refusée par le procureur puis par le doyen des juges qui doit statuer sur sa recevabilité. « Ce sont des plaisantins de mauvaise foi ! s’emporte Me Khoureychi Ba. Ils n’ont pas arrêté de nous demander ces derniers mois de déposer notre requête si l’on souhaitait libérer notre client. Maintenant que nous le faisons, ils cherchent à nous saboter. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est contester la valeur des biens que nous proposons en cautionnement et produire une contre-expertise. Le dernier mot reviendra au juge Samba Sall. »

Selon une source proche du maire de Dakar, « une quinzaine de jurisprudences ont autorisé au Sénégal le versement d’une caution garantie par des biens hypothéqués ». Des antécédents qui pourraient peser en faveur de l’acceptation de la caution et de la libération conséquente de Khalifa Sall. « Nous espérons que Khalifa Sall recouvrira rapidement la liberté mais ne nous leurrons pas. Nous nous attendons au refus de notre requête car, pour le pouvoir, il est politiquement trop dangereux que Khalifa Sall soit libre. Cela ouvrirait la voie à l’annonce de sa candidature à la présidentielle de 2019. »

Un élément que contestent les avocats de l’Etat, affirmant que « ce dossier est simple et ne possède aucune connotation politique ». Quant à la défense du maire, elle soutient dans un communiqué que « les poursuites menées (…) résultent d’une instrumentalisation de la justice à des fins strictement politiques consistant à écarter Khalifa Sall de l’élection de mars 2019 ». Et que, dans les jours à venir, il y aura « une accélération inédite de la procédure en raison de cet agenda politique ».

« Pas de précipitation, nous nous dirigeons calmement vers un procès, lance Me Baboucar Cissé. Les avocats de Khalifa Sall veulent l’éviter car l’opinion publique sera au courant de tout. Les faits sont constants, clairs et indiscutables. Des deniers publics ont été dilapidés et des faux ont été produits pour couvrir ces pratiques. »

La décision de doyen des juges d’accepter ou de refuser la caution est attendue au plus tôt pour la fin de la semaine.